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Critiques de livres


Luc NORIN
Villa Juliette
Bernard Gilson Editeur
2003
122 p.

L'âme des maisons

Les maisons ont-elles vraiment, comme les objets inanimés, une âme ? Par­fois, on le croirait volontiers. Il y a de bonnes maisons et il y en a de mauvaises. Vous en doutez ?

Avec Villa Juliette, Luc Norin, critique litté­raire pour La Libre Belgique qui signe ici son premier roman, fait vivre une étrange demeure, plantée sur schiste et marne mêlés, au fin fond de l’Ardenne. Un grand parc, un étang, des prés et, non loin, une ri­vière, et le son des cloches de l'abbaye de Notre-Dame-aux-Nuages. L'odeur des sa­pins et le goût du silence. La maison a un toit pointu, des volets bleus qui cachent les fleurs chantournées des vi­traux art nouveau ; au-dessus de l'entrée, une grande pierre équarrie indique qu'elle date de 1853. C'est une maison d'été, où l'on vient en vacances, avec les piles de drap qui attendent au grenier la prochaine belle saison. Avec une vigne vierge sur la façade près des rosiers, une vigne qui rougit à chaque fois que les vacanciers quittent la maison.

C'est une maison que l'on peint sous toutes ses coutures ; ses beautés comme ses cica­trices, ses beaux atours comme ses cieux ra­vagés par les orages ou la guerre. Dans son parc, on joue au croquet, on marie les en­fants, on chante à tue-tête, on ramasse des brassées de tilleul odorant. Luc Norin fait exister la Villa Juliette, en lui prêtant des sentiments, des pensées, des frissons. La maison se nourrit des vies et des histoires qui l'ont habitée. La maison a un prénom : villa Juliette : forcément, ce nom marque son destin. La petite Juliette qui a donné son nom à la maison, est partie, en Italie, en Amérique. Elle croquait le jaune et le rouge des pommes du verger ; elle dé­testait que son père chasse les lapins. Ju­liette est partie. La maison se languit. Puis, Hector et Zéphirine l'ont achetée. Hector la veut plus grande, plus majestueuse avec beaucoup de chambres, un balcon en forêt, un étang, une haute cheminée pour y faire craquer les bûches. La maison s'habitue à ses nouveaux habitants, à leurs amours, à leurs enfants, à leurs joies, à leurs peines. Hector, l'avocat, a des amis artistes, on imagine James Ensor, Rodin, Verhaeren... A travers les détails champêtres de leur été, on suppose les fastes gentils de leur vie bourgeoise.

Les enfants grandissent, se marient, enfan­tent eux aussi. Les voitures sont de leur temps : Talbot, Buick, ou 2 CV... Les quelques centaines de mètres carrés de la Villa Juliette et de son jardin traversent les années folles, les années de guerre, de mariage, de deuils, d'abandon puis de re­trouvailles et de renaissance. N'y voyez qu'un espace poétique qui laisse libre cours aux mots : on aime ou on n'aime pas. D'autres ont exploré déjà cette courbe du temps au travers d'une maison, de ma­nière sociologique, historique, parodique, humoristique. Ici, c'est une sorte de poé­tique de l'espace ou du sentiment qui prime. On s'aperçoit à peine du temps qui passe, des modes qui changent, des mentali­tés qui se bouleversent. Villa Juliette, c'est juste un camaïeu, la peinture douce des sen­timents.

Nicole Widart