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Critiques de livres


Guy DENIS
Wallonie rapsodie. Essai sur l'identité d'un peuple
Bernard Gilson Editeur
Bruxelles
1996
211 p.

Existence

Guy Denis a vécu ce que vivent bien des Wallons : le sentiment d'appar­tenir, au pire, à un peuple sans grand intérêt ; au mieux, à un peuple dont un certain folklore, une certaine couleur, certains coups de tendresse et de gueule, ont pu arracher un sourire amusé, ou un élan momentané de sympathie... « Atterrés par le mot Wallonie » : une ana­lyse strictement linguistique de nombre de discours, aujourd'hui encore, montre que cette répulsion est toujours actuelle. Il faudra bien étudier un jour cette question-ci : pourquoi la Belgique n'a-t-elle, je ne dis pas aimé — on ne lui en demandait pas tant ! — mais simplement supporté la Wallonie ? Notre histoire, notre art, notre culture : évacués. « Ah ! oui vraiment, ne restait pas grand-chose à cette Wallonie ! », dont l'au­teur dira : « Je suis né en ton sein sans te connaître ».

Affirmer son appartenance à la Wallonie, c'est donc nécessairement vouloir réparer une injustice. Guy Denis le fait superbe­ment, dans cet essai débridé : convoquant l'histoire et les souvenirs personnels, ras­semblant ses colères et ses tendresses, pas­sant du lyrisme charnel — le meilleur de son art — à l'énumération des faits et des figures, portraiturant à tour de plume, fai­sant voisiner l'émotion et l'analyse, maniant toutes les formes de l'humour, nous offrant d'autres bâtardises, nous criant que l'uni­versel commence chez nous, que la démo­cratie se construit autant par le respect de l'autre que de soi-même... Appartenance, culture, identité : il vaut la peine de regarder de plus près ce que Guy Denis en dit. Certains points de vue paraî­tront discutables ? Justement, discutons-en ! Ce chant d'amour et de peine est porté par un souffle, une langue — « Je dérape en wallon au bout de trois phrases, Monsieur le Secrétaire perpétuel ! » — qui ne de­vraient laisser personne indifférent. Qu'en penseront les grandiveux pèle-panse, me suggère-t-on ? Je n'en sais rien. Ils se tairont probablement, ce qui leur permettra de considérer que nous sommes muets. On doute en tout cas qu'ils soient touchés par la dernière phrase du livre — conclu­sion magnifique, où culot et tendresse ne font qu'un ; la plus poignante, à mon sens, qui ait jamais été écrite sur la question : « Si la Wallonie se perd, quoi qu'il en soit, le monde s'appauvrira : yes Sir ! »

Thierry Haumont