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Critiques de livres

Daniel ARNAUT
Comme un chien
Dessins de Guy Prévost
Noville
Esperluète
2011
334 p.
22 €

Chienne de vie 
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants N°166

Ainsi pourrait-on résumer l’impression immédiate que laisse la lecture du premier roman de Daniel Arnaut, Comme un chien, si toutefois l’on s’en tient à l’anecdote. En effet, dès le départ, le narrateur nous plonge au cœur du désastre quotidien qu’est devenue sa vie. Il a perdu son travail, sa femme est partie avec ses enfants, il est criblé de dettes, abandonné. En bref, il est paumé. On comprend dès lors que le titre du volume est à prendre dans le sens le plus négatif. Les enjeux stylistiques, l’auteur en connaît un bout, les figures de rhétorique, il en a tout un stock. Qu’il ait recours aux comparaisons, des plus familières aux plus surprenantes, usant du cliché en artiste pour en tirer un effet de désarroi total ou qu’il cheville ensemble réflexion intérieure et dialogue, il propose un texte serré, économe. Le protagoniste, Jean-Paul, dit Polo, « comme une marque de voiture », est précisément doué en mécanique automobile. Rien d’étonnant donc à ce qu’un expert automobile, comme on en consulte pour évaluer les dégâts après un accident, le contacte pour lui proposer un travail de rénovation délicat sur une voiture de sport, dont Polo est particulièrement amateur. Jusqu’ici, pas d’inquiétude, si ce n’est une ombre d’hésitation à peine perceptible. On pourrait croire à l’innocent début d’une histoire qui peut devenir palpitante, comme dans un bon polar. Mais, peu à peu, le ton change, avec le climat d’ailleurs – pluie, vent de tempête, nuit brouillée –, avec le décor – un labyrinthe, un bourbier, des épaves de voitures : nous voici en pleine décomposition existentielle. Les rares repères ont disparu, la stupeur s’installe. Le tout dans un huis clos beckettien où les deux personnages vont engager un dialogue absurde, obscur, à l’image de la casse de voitures qui sert de toile de fond à leur salon improvisé. Aux moments les plus noirs, les plus désespérés et désespérants percent pourtant des pointes d’humour, de la même couleur, bien sûr. Le mode de narration qui consiste à enchaîner récit et discours en une seule traite, sans signal ou ponctuation réglementaires, n’y contribue pas peu car il suggère puis intensifie l’incompréhension de celui qui tout à la fois subit, écoute, parle et raconte. Voici donc un récit dépourvu de tout bruit et de toute fureur, qui tire sa force d’observations simples comme la description d’automobiles, le détail de pièces, de mécanismes, l’enchaînement des cigarettes fumées et des rappels de l’enfance : détails abordables, banals tout compte fait comme le serait la lecture des petites annonces. N’étaient une lente montée de la tension, une interrogation sur le sens de la vie, la dérive vers la folie et peut-être la mort. Et puis, la surprise, le coup de théâtre qu’on ne livrera pas ici et la bifurcation, la bascule dans le burlesque. Des personnages qui prennent leur liberté ou du moins le tentent, un jour qui se lève et un paysage qui se banalise. Ce n’est pas fini encore puisque la perspective court vers l’infini.
Un beau roman d’aventures immobiles, un voyage intérieur, galopant comme un thriller, amusant comme un jeu, qui sollicite l’attention, le sens de l’humour et puis, mine de rien, satisfait la curiosité intellectuelle et dispense la sagesse.