pdl

Critiques de livres

Dominique LOREAU, Lionel VINCHE
Loin de Bissau
Noville-sur-Mehaigne
Esperluète éditions
2010
43 p.
16 €

Comment s'éloigner de l'amour ?
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants N°162

« Dans un village, quelque part en Guinée-Bissau, / impossible d’aller plus loin, il y avait devant moi un fleuve, / et derrière le fleuve, une forêt tropicale. »
Tels sont les premiers mots, les premiers vers, peut-on dire, du texte de Dominique Loreau, Loin de Bissau, qu’elle ou son éditeur ont appelé roman. Tout est poème pourtant dans ce récit qui raconte une histoire, mais par fragments, aimantés toutefois l’un vers l’autre, reliés par la permanence du sujet, de ce je qui n’en finira pas de dire ce qui est advenu, ce qui lui est arrivé à elle, du début à la toute fin convenue. Au départ, à Bissau encore, une autre vie commence. Du moins le croit-elle : « une vie de rêve », dit-elle. À la fin du poème, mais se termine-t-il vraiment ?, le souvenir même de cette vie se refuse à sortir de la chambre de la mémoire. Toute cette histoire, qu’il faut bien appeler d’amour sinon de désespérance, a-t-elle vraiment existé ? Intense, fugitivement sans doute, comme le serait toute passion peut-être. Et après ? Il n’y a pas que la séparation, l’absence qui fatigue les sentiments, qui amenuise les liens amoureux. Il y aurait comme une impossibilité à (ré)acclimater ailleurs, loin de Bissau précisément une émotion, un amour qui ne tenait peut-être qu’à l’instant et au lieu. À la rencontre inopinée d’un homme et d’une femme venus d’ailleurs, à la conjonction aussi de ces deux origines et nationalités à la fois voisines et différentes, qui se sont crues proches au point de s’unir parce qu’elles étaient là, à Bissau. Quelque chose se serait alors passé qui relèverait d’une solidarité étrange en quelque sorte, plutôt que du coup de foudre ou même des sentiments. Il ne faudrait pourtant pas vouloir instiller du rationnel, de la logique dans une histoire qui n’en aurait que faire. Des faits extérieurs vont cependant s’insinuer dans ce monologue de la narratrice, le ponctuer, le perturber aussi, et le monde réel, avec ses noms de lieux, ses temps mesurés, ses violences, interfère brutalement avec sa méditation intérieure. Une certaine vérité historique se fait jour, pèse, sur Bissau, sur l’Europe, avec des éclairs lancés subitement sur Bruxelles, Francfort, Heidelberg, propres à tuer le rêve, et l’amour même. Il y a dans le chant de Dominique Loreau une émotion qui tremble en deçà des mots et de leur signifié. Qu’est-ce en effet qu’une valise, le décor d’une chambre, la vie quotidienne finalement ? L’incertain, l’accident malheureux, en regard du contingent, de cet instant unique où deux êtres ont cru se reconnaître sur la berge d’un fleuve, « quelque part en Guinée-Bissau », contrée au passé mythique et au présent encore à venir selon certains ?
En peu de mots, à petits pas hésitants, en de courts chapitres que traversent les corps fusionnés ou impitoyablement blessés des dessins de Lionel Vinche, en noir ou en couleurs, Dominique Loreau aligne et confronte différents états du passé dans un texte qui joue de toutes leurs nuances temporelles. Elle ne décidera pas qui dans le texte l’emportera de la mémoire ou de l’oubli.