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Critiques de livres

Corinne HOEX
Décidément je t’assassine
Bruxelles
Les Impressions nouvelles
2010
143 p.
13 €

Cicatrices
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°161

On a déjà pu noter, à la faveur de deux romans précédents, la grande sensibilité, le regard profondément humain et la haute qualité littéraire des écrits de Corinne Hoex à qui l’on doit également plusieurs recueils de poésie. On sait aussi que son inspiration, puisée en partie dans son vécu personnel, procède d’abord de liens familiaux, souvent dramatiques ou désolants, mais qu’une foi dans la vie et une sorte de grandeur d’âme (qu’on peut aussi appeler amour) réussissent malgré tout à surpasser. Décidément je t’assassine se situe bien dans cette trajectoire intime. On y assiste, à travers le regard de sa fille, aux derniers jours d’une mère et aux retentissements de sa disparition dans une mémoire ranimée par le deuil comme par le discours des objets et de la maison familiale où la morte vivait seule depuis son veuvage. En amorce du roman, la narratrice, au souvenir d’une partie de cartes, trace de sa mère un portrait où, sous la banalité de la scène, pointe toute la navrante réalité – mais certaines fragilités aussi – de cette femme égocentrique, autoritaire et méprisante dont le comportement ne vise qu’à houspiller sa fille, à la diminuer et à l’humilier. Ne fût-ce qu’en gagnant au jeu comme elle sait si bien le faire au scrabble, une passion partagée avec des amies et lui valant des succès internationaux qui font sa fierté. Un coup du sort va brouiller ses cartes sous les espèces foudroyantes d’un cancer du pancréas. L’hospitalisation est inévitable. Celle que la malade, semblant ignorer son prénom, n’appelle jamais que « ma petite fille » (on imagine toute la condescendance qui s’exaspère sous cette expression en principe affectueuse) va accompagner cette hospitalisation de ses attentions et de ses nombreuses visites. Éclairées par l’exergue du roman, signé Beckett : « J’allais chez maman. Et de temps en temps je disais Maman, sans doute pour m’encourager. » Mais ces attentions n’empêcheront pas la mourante – penchant naturel exacerbé par la maladie – de la rudoyer à tout propos, jusqu’à lui reprocher des gestes jugés inappropriés comme le choix du peignoir, du parfum ou des fleurs. Une attitude qui inspire au roman son titre saturé d’amertume et de douloureuse ironie. Jusqu’à l’injection mortelle programmée à la dernière extrémité par la médecine, les deux femmes resteront à jamais incapables d’exprimer leurs sentiments profonds et la vraie nature de leur amour, que la forme en soit rébarbative chez l’une ou désemparée chez l’autre (« Alors, seule avec toi, quand tu es morte, bien morte : Maman, je t’aime ! »). La suite du roman décline comme un long constat à la fois tendre et désabusé ce rapport difficile à travers tous les souvenirs suscités par le traditionnel et pénible rituel du « vidage » de la maison. Mais si la « petite fille » ne joue évidemment pas le jeu hypocrite de l’encensement post mortem de la disparue, la souffrance qui est la sienne ne relève pas du ressentiment, mais d’une blessure très ancienne et à jamais sensible. Celle d’un manque majuscule dont la volonté de s’affranchir n’efface pas les cicatrices.