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Critiques de livres

Ghislain COTTON
Reconquista
Avin
Luce Wilquin
2010
160 p.
16 €

C’est donc ça un romancier ?
par Christian Libens
Le Carnet et les Instants N°161

Il était une fois un romancier bruxellois à tirage trop limité, un traducteur peu fidèle de polars suédois, un amoureux éploré de sa femme en allée avec son propre frère, un ancien collégien des bons pères déniaisé par son prof de math, un bon fils qui appelle sa mère Fanny parce que tel est son prénom, un gourou pas brillant d’une secte d’illuminés… Tant de personnes dans le même personnage, Thomas Basil, dit Tom. À moins que ça ne soit son double, Sam alias Basilidès, son jumeau et âme damnée ?
Il était une foi nouvelle, le « basilidisme », qui professe auprès d’une riche clientèle de naïfs fracturés de la vie des slogans du genre « Ton corps : l’obstacle et le chemin », assaisonnés de zestes de Plotin ou d’Empédocle et d’une bonne louche de Basilide, un gnostique du IIe siècle. Sans oublier le credo du philosophe antique Cornelius Farouk : « L’univers est assez grand pour contenir toutes nos illusions et elles sont elles-mêmes créatrices de vérité. » La communauté, basée dans une grande propriété de Watermael, vit dans l’illusion comme ses principaux acteurs vivent dans le mensonge. Il y a là un bon docteur roumain très vilain, une violoncelliste meurtrière, un avocat sans loi, et d’abord la belle Johanna, l’égérie des jumeaux que Tom veut reconquérir…
Avec Reconquista, son sixième roman, Ghislain Cotton s’est manifestement beaucoup amusé tant le jeu de miroirs qu’il y a mis en place est brillant, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs. Brodant sur le thème de la gémellité, il égare ceux-ci dans une sorte de polar amoureux où les mises en abyme se métamorphosent en passionnants casse-tête. Et puis, notre chroniqueur-romancier se plaît à semer des signes de piste, des allusions plaisantes comme autant de clins d’œil aux confrères. On y reconnaît ainsi Jacob Couvreur, du Soir, Matthieu François, de La Libre, ou encore Chaulaide, le présentateur de l’émission littéraire Feuilletage. Quant à identifier la journaliste du magazine Snif, l’attachante Mona, amie et alliée de Thomas, je donne ma langue au chat !
Par contre, voir en Thomas le double de Ghislain Cotton relève de l’évidence, du moins dans sa bibliographie. Tous deux ont signé cinq romans, aux titres à peine déguisés (Les larmes d’Orbac deviennent Les larmes d’Arboc, Tangomania se mue en Flamenco, etc.). Bien sûr, nul ne peut assurer que le malicieux Cotton se double secrètement d’un traducteur de polars scandinaves à succès. Mais qui sait, avec ce diable d’homme ? N’écrit-il pas, dans cette jubilatoire Reconquista : « C’est donc ça un roman¬cier ? Un type qui invente n’importe quoi pour compenser ses propres frustrations. Joli métier. »