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Critiques de livres

Armel JOB
Les lunettes de John Lennon
Namur
Mijade
2010
285 p.
12 €

Fantasia chez les cancres
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°164

Paru fugitivement chez Memor, Les lunettes de John Lennon, roman d’Armel Job, reprend vie à l’enseigne de Mijade. Heureuse initiative parce qu’on retrouve dans ce texte peu connu toute la virtuosité et l’imagination facétieuse qui ont présidé à la notoriété, maintenant bien établie, de l’auteur de Helena Vaneck ou des Fausses innocences. Avec une suite de personnages et de situations qui s’articule autour d’une trouvaille : celle de la paire de lunettes à double hublot jaunâtre oubliée par le plus charismatique des Beatles lors d’un concert à Anvers. L’inventeur de ce trésor : un mécano de la région liégeoise qui le conserve précieusement et le vénère en secret. Mais c’est sur la mésaventure burlesque de son fils Julius que débute le récit. Pour sauver de l’enfer Jean-François, un de ses condisciples tombé ivre mort dans la chapelle du collège Saint-Boniface, ledit Julius offre sa vie au Christ. Puis, voyant une inqualifiable trahison dans le fait que le présumé damné ait survécu, il fait basculer de son socle la statue de plâtre au cœur saignant. Vandalisme blasphématoire qui lui vaut d’être renvoyé dans ses foyers. Curieux foyers d’ailleurs : René, ce mécano plutôt glandeur et vaguement artiste, une mère italienne, soi-disant miraculée dans l’enfance et qui tire ses revenus de ses prestations de téléphoniste rose, une petite sœur attardée, sans oublier le chien Help, objet de discorde et dont René revendique la garde par voie judiciaire. Ce n’est, bien entendu, que le début d’une cascade d’épisodes hauts en couleur joués par cette bande de cancres de tout poil et de tous âges. Parmi lesquels on retrouve aussi Jean-François, le faux mort improvisé marchand de vin (d’ailleurs éthylique), et l’éternelle victime, Julius devenu pompiste et amoureux transi (d’ailleurs déçu) rêvant de devenir laveur de vitres à New York. Avec, comme pivot de ce manège désenchanté, les fameuses lunettes sorties de leur boîte à café et dont la valeur vénale suscite quelques convoitises. Ce qui fait le charme et la singularité d’un texte qui pourrait passer sans plus pour une aimable fantaisie, c’est le regard que Job pose sur la plupart des personnages qu’il anime avec jubilation dans son castelet de marionnettiste. Un regard humain et presque fraternel sur leurs bizarreries, leurs travers, leurs aberrations les plus bouffonnes et même leurs indignités. S’il relève souvent de l’observation combien malicieuse d’un Arthur Masson, il peut aussi évoquer l’innocence foncière de « héros » à la Dhotel, avec leurs rêves et leurs façons – qui sont aussi celles de cancres au cœur pur – face au tragique de la vie et de ses avanies. Fût-il, comme ici, enrubanné de burlesque.