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Critiques de livres

Joseph DUHAMEL
Xavier Hanotte, les doubles
Avin
Editions Luce Wilquin
2010
249 p.
25 €

Et si l’humanité s’interrogeait sur son ursitude ?
par Jeannine Pâque
Le Carnet et les Instants N°164

C’est ce que laisse entendre Joseph Duhamel au terme de sa pénétrante monographie sur Xavier Hanotte dont il connaît l’œuvre à fond et transmet l’essentiel avec beaucoup de clarté et de passion. Il a sous-intitulé son étude Les doubles : un second titre économe qui en dit beaucoup, une autocitation en quelque sorte. L’importance du double est en effet décisive : selon l’auteur, « la problématique fondamentale de [la] démarche » de Hanotte. Toute son œuvre évolue sous le signe de l’identique et du double. Lui-même, rappelons-le, est à la fois auteur et co-auteur, créateur et traducteur, notamment de Hubert Lampo (néerlandais) et de Wilfred Owen (anglais) et se sent à l’aise dans les paysages les plus divers, à conter les histoires les plus complexes.
Cette persistance du double concerne les personnages, au premier chef : le vrai je est toujours un autre, nous dit-on, tant est voulue la confusion des niveaux de réalité. Ce qu’accentue encore le recours aux personnages récurrents d’un livre à l’autre : l’indice peut-être d’un monde à part, d’une œuvre en train de s’édifier. Croisement aussi des temporalités : passé, présent, futur s’interpénètrent. Si les lieux se dédoublent, a fortiori les histoires. Derrière le récit policier, par exemple, se cache une autre histoire qui fait tache, l’épaissit, en déborde. La structure du double entraîne la récurrence des situations, des images, des formules, comme le paradoxe ou même l’oxymore. Ces figures privilégiées révèlent une ambiguïté métaphysique que l’auteur met en évidence grâce au réalisme magique, un choix esthétique constant. D’où l’importance du paradigme de l’écran, du jeu entre l’opaque et le transparent, de la figure de l’absence, du manque : ces portes, fenêtres, pare-brise, voiles, volets, parois, franchissables ou non, ne sont pas sans montrer quelque trace maeterlinckienne. Selon Duhamel, le mécanisme du double est la forme la plus accomplie de l’évocation du surréel. Le rêve et l’enfance sont les sources incontestables de la perception du monde.
Si l’on est frappé à la lecture par les constantes – car Hanotte ne confond pas double jeu et duplicité et est fidèle à une ligne directrice –, ce qui confère à son œuvre une grande cohérence, un cas isolé mérite pourtant qu’on s’y attarde. Sans être une exception, Ours toujours (2004), entre farce et conte philosophique, est une bien étrange fable. On y retrouve les procédés familiers comme le jeu sur le langage et le double sens, mais la thématique étonne et, malgré l’image familière de la caverne, la variante burlesque de la figure de l’impossible ajoute une dimension morale à l’ensemble. Entre les ours humains et les vrais ours, y a-t-il encore place pour la vérité des hommes ? Pour la clairvoyance ? Pour l’interrogation infinie ? Les livres de Xavier Hanotte ont décidément un double fond et génèrent une pluralité de lectures.