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Critiques de livres

Michel FRANCARD, Geneviève GERON, Régine WILMET, Aude WIRTH
Dictionnaire des belgicismes
Bruxelles
De Boeck / Duculot
2010
400 p.
24,50 €

Oufti, quel dico !
par Joseph Duhamel
Le Carnet et les Instants N°164

L’étude des particularismes d’une langue, qu’ils soient régionaux ou sociaux, est importante dans la prise de conscience qu’un groupe peut avoir de son identité. Cette langue « particulière » ou « différente » est un important vecteur du sentiment d’appartenance. En ces périodes de questionnement sur l’identité communautaire ou nationale, un dictionnaire des belgicismes a peut-être une importance spéciale ; il permet de comprendre la différence avec d’autres pratiques du français et d’en déterminer les influences spécifiques.
La plupart des dictionnaires de belgicismes sont soit des publications savantes peu accessibles au grand public, soit des livres à volonté de divertissement mais à l’information bien maigre.
Saluons donc la publication de l’excellent Dictionnaire des belgicismes sous la direction de Michel Francard, professeur de linguistique française à l’UCL. Les auteurs ont réussi un bel équilibre entre une information rigoureuse, précise, éclairante et un ton qui, sans renier le sérieux de l’étude, rend la lecture extrêmement agréable et instructive.
La démarche innove par rapport aux dictionnaires antérieurs ; précédemment le choix des termes était fait selon les appréciations et les connaissances personnelles des auteurs. Dans ce cas-ci, chaque terme a été soumis à des informateurs en Wallonie et à Bruxelles qui ont pu attester du sens mais aussi de la fréquence de l’emploi. C’est ainsi que pour chaque entrée, l’extension et le degré de vitalité du terme sont indiqués. Les variations sociales et culturelles sont également prises en compte, comme les variations régionales, selon que l’on soit en Wallonie ou à Bruxelles. C’est pourquoi apparaissent des doublets, comme croustillon et smoutebolle pour « beignet ». Comme le précise l’introduction : « Le dictionnaire ne désigne pas le commun dénominateur linguistique de tous les Belges francophones, mais bien une somme d’usages suffisamment répandus pour composer la variété linguistique que pratiquent au quotidien quelque quatre millions de francophones, Wallons et Bruxellois. »
Et de fait, c’est en se promenant au gré des renvois que l’on prend conscience de la différence du français de Belgique par rapport au français de référence, mais aussi de ce que l’on pourrait nommer son unité composite. Car si certains termes sont limités à une région et apparaissent donc clairement comme des belgicismes, certains usages communs à toute la Wallonie et à Bruxelles ne sont pas nécessairement ressentis comme des particularismes locaux. Le très beau et mystérieux (mais aussi dangereux) conducteur-fantôme, par exemple ; ou le très étrange principe de l’asexué linguistique.
Pour chaque entrée, après description des sens et de leur diffusion, après mention de l’étymologie (il est toujours intéressant de voir les processus de création de termes ou de sens particuliers), le dictionnaire propose l’équivalent en français de référence, et indique éventuellement aussi les utilisations de ce mot dans des variétés régionales françaises.
Force est de constater l’importance en Belgique du rapport tant au néerlandais standard qu’au parler flamand, ce qui explique pour une part l’originalité du français de notre vaillant royaume. Au moins partageons-nous avec nos compatriotes du Nord certains termes et certaines façons de nommer qui peuvent dès lors apparaître comme des calques l’une de l’autre. C’est précisément le cas de conducteur-fantôme / spookrijder.
Débordant parfois du cadre lexicographique, les auteurs proposent quelques encadrés qui « permettent de comprendre le contexte dans lequel certains régionalismes sont apparus ou ont vu leur diffusion accélérée et élargie ». Par exemple, les devenus célèbres Bardaf, c’est l’embardée !, zinneke ou stuut.
Tout en offrant une information riche et précise, ce dictionnaire est loin d’être austère. Il donne au contraire une image chatoyante de la langue. Et l’on ne peut qu’être séduit par la créativité et la truculence du français de nos provinces. Ceci dit sans faire son dikke nek.