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Critiques de livres

Claire HUYNEN
Série grise
Paris
Le Cherche-Midi
2011
112 p.
12 €

Ces chères têtes grises  
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants N°165

Ce n’est nullement sur ce ton attendri que Claire Huynen va évoquer les personnes âgées dans son dernier roman, Série grise. Bien au contraire, selon toute apparence, si l’on en croit du moins la première phrase de son texte : « Les vieux m’emmerdent. » Il est vrai que cette déclaration assez catégorique revient au narrateur, lui-même un de ceux-là, qui ajoute aussitôt : «  Il faut dire que je suis le premier objet de mon dédain. » Voilà qui est lancé ! Celui qui nous parle est donc vieux lui-même, s’en veut d’être vieux, méprise, abomine la vieillesse en général et se double d’un observateur impitoyable envers ses pareils, lesquels, on le devine, sont dans un état plus grave encore à ses yeux. Quand, où et comment se trouve-t-il devant un échantillon révélateur ? Parce qu’un jour, à un âge certain, il a rejoint une maison dite de repos, nommée Mathusalem – un clin d’œil au lecteur autant qu’au personnage, sans doute, mais qui convient à notre candidat puisqu’il s’y intègre peu ou prou, tout en se conservant l’essentiel de son espace privé. Il s’y fait tout de même sinon un ami du moins un complice en escapades, tout intérieures dans un premier temps. Jusqu’au jour où le démon de l’espionnage les pique, comblant le soupçon d’intérêt que peut encore éveiller l’existence à cet âge et la curiosité encore prompte malgré tout à se rallumer. De découverte en dévoilement, les deux gaillards ont le désir ou l’illusion de pouvoir quitter la vieillesse. Et pourquoi pas ? Tout dépendra de la manière qu’ils se choisiront.Nous demeure le bonheur d’être ingambes, certes, mais surtout le plaisir pris à lire une fable un peu surréelle et pourtant pleine de réalité, où tout nous entraîne joyeusement : une allure de polar, une introspection psychologique, sévère mais juste, comme on dit, et non dépourvue de tendresse, et surtout beaucoup d’humour. Il y a une autre qualité à ce texte, sa langue, extraordinairement goûteuse, propice à suggérer ce qu’on nomme les états d’âme sinon un climat intérieur, et sa parole silencieuse, mais aussi une atmosphère ; excellent aussi à brosser d’étonnants portraits d’amoureuses, dont nous ne saurons guère plus. Une langue donc remarquable par sa charge qualificative, que ce soit dans le choix de verbes toujours imagés ou dans l’abondance du paysage d’adjectifs rares, encore mis en évidence par l’antéposition que l’auteure privilégie : ainsi en va-t-il de ces « boueux vertiges », de ces « buissonnières indisciplines » ou autres « incongrues lenteurs » : des préciosités qui se dégustent comme un vin d’âge, peut-être. Un texte jouissif !