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Critiques de livres

Jacques CARLOT
Trente jours, j’avais, j’étais
Paris
L’une et l’autre
128 p.
12,50 €

Un certain Jacques Carlot 
par Jean-Pierre Otte
Le Carnet et les Instants N°165
 
… Et un matin, vers les midi, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres les Trente jours, j’avais, j’étais, d’un certain Jacques Carlot. Il n’est pas courant qu’on vous expédie un texte de cette trempe. Presque aussitôt sous mes yeux, le manuscrit était sorti littéralement d’un format A 4 ordinaire, déboulant comme un petit animal énigmatique qui ne se laisse pas d’emblée apprivoiser, qui s’anime bientôt sous les glissements impatients de votre regard et vous surprend par des morsures, des traits étonnants, des coups de griffes sur des vitres, de brefs événements qui flottent par instants dans une transparence d’autant plus insaisissable qu’elle laisse tout voir au travers.
Par instants, cependant, des morceaux de miroirs retrouvaient leur tain et me renvoyaient sans cesse à une structure simple, alternative, jouant sur les verbes avoir et être. Une structure qui aurait pu s’avérer bientôt monotone, platement systématique, mais qui n’en finissait pas de développer de phrase en phrase, de page en page, des trouvailles, de ces traits qui vous touchent à coup sûr au cœur, dans l’âme ou dans je ne sais quelle partie du corps.
Il y a plusieurs années Carlot que l’on nommait ou qui se nommait lui-même l’Escargotique (un spécimen particulier évoluant dans un temps qui n’est qu’à lui, comme tous nous devrions vivre dans l’espace qui nous est propre et le temps qui nous est personnel), Jacques l’Escargotique, donc, comme on parlerait d’un nouveau Denys l’Aréopagite, avait séjourné chez nous, et m’avait montré à l’époque quelques premiers petits textes dont le ton, l’allure, le délié et pour tout dire l’originalité, m’avaient déjà surpris.
Carlot est assurément de ces personnages qui tout en restant sur place, dans le périmètre familier et assez exigu d’une chambre ou mieux encore dans l’espace entre les trempes, se lancent à la conquête de nouveaux mondes, vivent des amours insensées, recueillent des signes dans la coquille du quotidien, des écumes, des bribes d’histoires, des paroles dérobées. Il nous offre tout un catalogue d’objets, saisis dans la lente turbulence du temps, et c’est comme si les points d’une histoire jamais dite et sans aucune envie de la dire, étaient imprimés à la suite, de façon linéaire, dans un grand foulard mouvant, en mouvement, si bien que les points écartés se trouvent rapprochés, et que des éléments proches se trouvent éloignés dans l’espace. De part en part, on surprend alors des cordes de rappel, des échos ; rien de continu mais des brisures, des remous et des sortes d’explications, c’est-à-dire : des choses, des figures, des images extirpées de leurs plis. « Si, confie Carlot, les premières phrases me sont venues en tête sans que je sache ce que j’en ferais, l’idée de poursuivre me vint surtout de la structure qui m’intéressait et qui en justifiait le désir. Il s’agissait d’un exercice, d’une gymnastique de l’écriture, d’une sorte de multiplication journalière de rédactions sans autre préoccupation que celle des variations exclusives sur avoir et être. Progressivement, une direction s’est détachée dans l’aventure chaque jour reprise, reconduite, poursuivie, au gré d’une sorte d’expédition dans l’imaginaire. »
Il va s’en dire que Carlot attache une importance première au style et qu’il affectionne les élisions, les ruptures, les brisures, les métaphores, les allitérations, les chevilles ouvrières que sont les conjonctions. Il tient aussi à la structure, pensant conserver ainsi une prise sur son texte, mais en cela, à mon humble avis, il se trompe : ce n’est pas la structure qui importe, mais le processus qui porte le texte à son épanouissement.
Quoi qu’il en soit, Carlot nous entraîne dans son monde, des mondes en soi, intrigants, étranges, jouant sur l’absurde, les symboles, les archétypes, le registre tant personnel que impersonnel quand ce que nous ne sommes pas compte tout autant, comme pendant d’ombre, au dénominateur commun d’une équation d’existence.