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Critiques de livres

Barbara Abel
La Mort en écho
Paris
Éd. du masque
Coll. "Grands formats"
2006
303 p.

La mort en écho
par Judith Szwarc
Le Carnet et les Instants n° 144

Qu'il est donc agréable de suivre, au fil d'une plume toujours mieux affutée, le talent d'une jeune auteure bruxelloise! Barbara Abel, toujours elle, réussit encore à nous surprendre avec un suspense psychologique dont les ressorts se sont pourtant brisés bien avant que nous ne prenions pied dans l'intrigue.

Trois femmes nous sont données à découvrir ici, trois héroïnes aux personnalités bien distinctes et dont les destins fatals épousent trois époques successives. Immédiatement captif de leurs paysages de vie, le lecteur s'invite au cœur géographique du roman, au «Cheminot», une très belle maison bourgeoise habitée de sombres souvenirs.

Manon, la narratrice première, nous est contemporaine. Puéricultrice intérimaire, elle vit avec son compagnon, Théo, et rêve désespérément d'enfanter à son tour. Cette attente prolongée porte ombrage à leur relation, et l'arrivée d'un voisin d'un certain âge, égocentriste et exigeant, ne va pas arranger les choses…

Madeleine aurait pu être sa grand-mère. Assassinée en même temps que son amant, le fameux cheminot qui donna son nom à la maison, Madeleine laisse un journal intime dont peu à peu nous découvrons des extraits. Son sort, funeste, répond sans doute à l'hypocrisie des normes bourgeoises qui condamnaient alors la vie des femmes de province – et d'ailleurs – à une révoltante docilité.

Marie, enfin, est la mère de Manon et de sa sœur cadette, Emilie. Avec Thomas, son époux, elle a acheté le Cheminot après quelques années de mariage. Les filles y sont nées et y ont connu une enfance heureuse. Mais la vie de Marie n'a pas été aussi sereine que sa famille se l'imagine, et nous découvrons, avec retard, en quoi sa tragédie personnelle affecte pleinement l'avenir de Manon.

Nous cheminons ainsi aux côtés de trois personnages sans noblesse particulière, aux petits défauts qui sont aussi les nôtres; naïveté, puérilité, manque de lucidité, petites et grandes lâchetés tissent la trame fatale de trois vies de femmes, que ne condamnera finalement que leur propre abdication devant les choix à faire et les risques à prendre. Ces trois femmes, au demeurant charmantes et sympathiques, ont pour point commun d'avoir un jour éprouvé un amour insensé… qui causera bien sûr leur perte.

Difficile d'en dire beaucoup plus sans en dire trop. L'intrigue est tricotée finement, presque ciselée dans un va-et-vient temporel pleinement réussi. Les personnages de femmes ont une jolie densité, les hommes, pour la première fois chez Barbara Abel oserais-je dire, existent enfin pleinement, et pas uniquement en temps que vecteurs ou archétypes du mal.

Les situations, également, se nourrissent du terreau terriblement fertile de la réalité quotidienne. Plus de drame rocambolesque, de furie déchaînée ou de victimes enchaînées. Barbara Abel a mûri, et ses fantasmes diaboliques aussi, gagnant en cruauté ce qu'ils abandonnent en péripéties sanglantes. Chacun de nous aurait pu, au hasard d'une rencontre ou d'une autre, figurer à son corps défendant dans ce drame psychologique, ou dans un autre presque semblable, et c'est une part de ce qui nous le rend si passionnant.

Sans compter les progrès, remarquables, dans l'écriture. Nous regrettions, il y a à peine plus d'un an, quelques redondances, des lourdeurs appuyées, une grammaire parfois distraite. Barbara Abel nourrit ici son récit d'un style beaucoup plus fluide, avec des tournures de phrases, un rythme et un vocabulaire qui épousent intelligemment chacune des époques traversées, nous donnant encore plus pleinement à ressentir les ressorts psychologiques qui déterminent les narratrices. Sans compter de petites fulgurances, quelques images neuves et un sens de la repartie auquel ses interlocuteurs ne nous avaient pas habitués…

Il est difficile de faire abstraction de toute critique; c'est ainsi nous regretterons une légère baisse de régime vers la toute fin du récit. L'auteure croit nécessaire de nous mettre tous les points sur tous les i, quand disposant enfin de toutes les sombres données de l'histoire, nous aurions plus pleinement savouré quelques points de suspension… Cela ne nuit en rien à la force de ce drame, et il n'est qu'à taper «Barbara Abel» et se promener sur les forums de lecture en vogue sur internet pour s'en rendre compte : les lecteurs l'adorent, se la recommandent, se la dévorent au fil des parutions et en redemandent. Comme nous.