pdl

Critiques de livres


Georges THINES
Voix d'Ovide en sa première mort
L'Arbre à Paroles
87 p.

Silences du jour et civilisations perdues

Colette Decuyper tisse à coups de je suis [...] un autoportrait au fil des phrases, en amoureuse des mots qui les télescope en suites syncopées d'images, à moins que ce ne soit en amoureuse tout court s'adressant à un tu complice. Le poème est ici le lieu d'une confession qui dit la barbarie intime de l'auteure mais aussi d'une exaltation du corps (sinon du sexe) : mes verbes sont des mots enlisés dans la chair la vie l'or des caresses. Un premier petit re­cueil lumineux qui fait escale dans les instants d'une vie.

Avec Chemins du guet (qui a obtenu le prix de la Biennale Robert Goffin en 2002), Françoise Lison-Leroy traque ces petites choses qui ajoutent de la valeur poétique à l'existence et les note en brefs poèmes. Le guet du titre dit bien cette manière d'être au monde de l'auteure qui se veut attentive à ce qui l'entoure mais se montre plus sou­vent inquiète qu'émerveillée disant l'amère évidence // qui fait pousser les mots. Restent ces petits enchantements du quotidien : qui dessine des îles / sur la robe des vaches ? ou la source / traque déjà la mer. Ces Chemins sont balayés par le vent et connaissent ces morceau[x] de monde / où tu n'iras jamais. L'endroit et l'envers du monde, en somme. Pour ses écrits osés, Ovide finira sa vie en exil en Dacie ; pour d'obscures raisons poli­tiques, le roi de Lydie offre sa femme, Nyssia, nue à l'admiration de son rival et... successeur.


Jean ROYER et Yves NAMUR
Demeures du silence
Phi et Ecrits des Forges
2003
115 p.

Déshonneur de l'un et de l'autre mais aussi deux épisodes qui permettent une méditation sur le visible et l'invisible, la dissimulation et l'évidence ou encore les glissements entre le mot et l'image. On le sait au moins depuis ses Théorèmes pour un Faust, Georges Thinès aime aborder les per­sonnages mythiques et il excelle à leur don­ner une épaisseur humaine et une résonance poétique en creusant les souffrances et les doutes qui logent, négligés, dans des lé­gendes trop souvent dorées. Voir encore et penser : plus que tout autre le poète n'a jamais vraiment choisi ; autant dire que le poète se doit d'être une conscience et d'agir où qu'il soit. Thinès n'y manque pas et si son style peut paraître classique dans le paysage poétique contemporain, je pense, à l'inverse, que certains feraient bien de s'inspirer de l'habileté et de l'aisance qu'on trouve ici à faire se rencontrer les idées et les formes. Voix d'Ovide en sa première mort est, en fili­grane, un puissant recueil sur l'histoire des civilisations et les traces qu'elles laissent les unes dans les autres. L’insolite silence de l'in­térieur marque autant l'homme banni que les siècles avenir...Du silence, il est encore question dans le re­cueil écrit à quatre mains par le Québécois Jean Royer et le Belge Yves Namur. Je ne sais comment ils ont procédé pour l'écriture mais à les lire, l'impression est que tantôt les poèmes s'appellent, tantôt ils se répon­dent ; en tout cas, ils sont alternés ou s'interpénètrent et se font, si je puis me per­mettre, écho. Ces demeures du silence sont à l'adresse de la lumière, de l'écoute ou de la neige; voire dans l'étau des glaces.


Otto Ganz et Daniel DE BRUYCKER
Architecture des geôles
L'amourier
2003
64 p.

Mais elles sont aussi dans ces poèmes très dé­pouillés qui, très souvent, se tournent vers eux-mêmes pour questionner tant leurs dires que leur capacité à dire. Yves Namur est coutumier de ces poèmes interrogatifs ou dubitatifs dans lesquels gît la soif des mots mais où les pas mènent à l'incertain. Ce qui se dit dans ce livre relève de l'étonnement d'être dans cette capacité à formu­ler les choses mais dans l'impossibilité de circonscrire ce qui échappe à la parole. Il y a, tout à la fois, une impression d'apoca­lypse dans le silence mais aussi le sentiment d'une énigme des commencements et, entre les deux, dans la durée, une nécessité à l'im­poser pour rester à l'écoute. Comme un seuil sur lequel la veille s'impose. Architecture des geôles est aussi écrit à quatre mains mais on ne peut identifier ce qui vient de Ganz ou de De Bruycker, les écritures sont mélangées même si les tons sont en contrepoint. Ce précis d'architecture poé­tique est directif voire dogmatique mais le bâtiment qu'il s'agit d'ériger impose, bien sûr, ses contraintes. Les poèmes ressemblent alors à un enseignement ex cathedra à ceux qui se destineraient, par prédilection, à ce type de construction. Quoi qu'il en soit, édi­fier, c'est se dresser vers le ciel et affirmer sa force à élever même si La prison du poème est tout entière contenue dans les mots qui la com­posent. J'aime cette énergie des bâtisseurs.

Jack Keguenne

Colette DECUYPER, A l’envers et en chaos, L'Arbre à Paroles.

Françoise LISON-LEROY, Chemins du guet, Tétras Lyre.