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Critiques de livres


Amélie NOTHOMB
Antéchrista
Paris
Albin Michel
2003
197 p.

C'était ça l'université

Le mal-être d'une adolescente est un thème connu et fréquemment traité en littérature. Avec Antéchrista son dernier roman, Amélie Nothomb en donne, on s'en doute, une version toute personnelle où chacun trouvera ce qu'il veut, entre le rire et les larmes. Blanche, son héroïne de seize ans qui détaille le malheur de ne pou­voir s'intégrer au monde et surtout pas à l'université où elle vient d'entrer à la faculté des Sciences politiques, nous conte la triste histoire d'une amitié ratée. N'attendez pas d'un personnage de Nothomb qu'il corres­ponde aux canons de la logique : elle est mal dans sa peau, ou plus exactement n'admet pas son corps qu'elle ignore autant que pos­sible, mais elle est plutôt bien dans sa tête, malgré les apparences. À preuve, cette luci­dité dont elle fera preuve tout au long de son récit lorsqu'elle s'analyse et se définit. Elle s'assure de contreforts peu communs aux jeunes gens de son âge : les livres dont elle fait une consommation abondante et ju­dicieuse lui tiennent lieu d'identité et elle peut s'assimiler à une « somptueuse biblio­thèque », laquelle est par ailleurs le seul luxe ou ornement auquel elle aspire, au mépris des vêtements, objets, musiques, divertisse­ments censés représenter la jeunesse. Luci­dité qui s'exprime aussi dans les apartés acides dont cette héroïne apparemment insi­gnifiante use à satiété. Lucidité encore lorsqu'elle jauge sans indulgence les gens qui l'entourent et l'institution qu'elle fréquente. Comme sans y toucher, mais en quelques formules sans appel, elle fait le procès de cette université où elle est inscrite. Dès l'abord, c'est bien net : « C'était ça, l'univer­sité : croire que l'on allait s'ouvrir sur l'uni­vers et ne rencontrer personne. »

Pourtant, elle va en faire une de rencontre, mieux, elle sera abordée par une étudiante, précisément celle-là qu'elle désirait con­naître. Christa, au prénom qui l'émerveille, est intégrée, elle, ce qui n'est pas son moindre prestige, et chose incroyable, sub­jugue Blanche au point que celle-ci va l'in­troduire chez ses parents qui éprouvent aus­sitôt une sympathie très vive pour la nouvelle venue. Rapidement, l'intimité qui s'installe entre eux devient telle que Blan­che, la fille de la maison, se sent bientôt de trop, comme une tierce personne, quelqu'un qui ne compte pas à leurs yeux. Commence alors pour elle un véritable calvaire qu'elle aura l'intelligence et la force d'interrompre. Avec une science du revirement à laquelle elle nous a accoutumés, Nothomb suspend brutalement la chanson mélodramatique qu'elle a déroulée et qui en serait devenue mièvre sans un changement de ton radical. Celle qui trouve les rapports de force embê­tants s'entend admirablement à les inverser. Le tout mené au pas de charge que le lec­teur emboîte d'autant plus aisément que le récit est bref. Les familiers de l'auteure re­trouveront sans surprise les dialogues aler­tes, les digressions savantes — philologi­ques, lexicales, rhétoriques — ou les réminiscences apparemment réalistes sur la foi desquelles ils croiront fugitivement que cette personne secrète leur ouvre de larges pans de son monde intérieur. Mais, malgré l'accent de sincérité de certains aveux — « J'aurais donné sans hésiter le reste de ma vie pour voir s'allumer pour moi, dans l'œil de quiconque, fût-ce le dernier des derniers, cette faiblesse et cette force, cet abandon, cette capitulation, cette résignation heu­reuse à l'adoration absurde » —, aussitôt corrigés par l'excès de la formule, elle les laissera sur leur faim. Heureusement, Michel Zumkir, le premier biographe d'Amélie Nothomb, nous en dit davantage dans son livre, avec la retenue requise mais aussi avec talent et humour.

Jeannine Paque