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Critiques de livres


Serge MEURANT
Appel / Allégresse
Ed. L'Arbre à paroles
2000
25 p.

Temps de beauté

Mince recueil que celui de Serge Meurant, trop mince. Et c'est bien   le   seul   reproche   qu'on pourra lui faire car lorsque les poèmes attei­gnent cette simplicité, cette justesse, cet équilibre ou, pour mieux dire, cette beauté sereine, le lecteur reste sur sa faim et en re­demande...

« Appel » évoque une amie disparue et « Al­légresse » naît d'un séjour à Carrare, en été. A priori, deux sources d'inspiration très dif­férentes dont le rapprochement étonne. Pourtant, Meurant réussit à fondre la mé­lancolie de l'un et la joie de l'autre en une douceur qui apparaît comme une philoso­phie de la vie. Ce n'est pas que l'émotion soit rabotée, non, elle conserve toute son intensité, mais elle est dite sans virulence ; elle s'inscrit dans le flux du temps, dans le cours des choses et « le corps replié acquiesce / au bout de la lumière ». Mais le poète ne consent pas purement et simplement, il est aux aguets, les sens aiguisés (« l'attente / m'emplit d'ombre ») et il in­terroge, ainsi dans ce poème qui ouvre « Appel » :

Où sont les berceaux et l'espace du nom ?

la bouche la prière le baiser ?


Luc DELLISSE
Baptême du feu
Ed. L'Harmattan
1999
54 p.

Sans doute n'y aura-t-il jamais de réponse à ces questions mais, de même que « l'absence de regard / ne l'empêche de voir », le silence n'interrompt pas le dialogue. La meilleure preuve en est dans le silence de la lecture de ces poèmes, ces traces noires d'encre sur la page blanche, qui font écho aux images alternées de clarté et de limpidité ou d'ombre et d'obscurité. Et il y aurait une très belle étude à faire sur l'évocation de la neige dans l'œuvre de Serge Meurant.

Tout autre est le pessimisme narquois de Luc Dellisse, au caractère plus rugueux, et dont les poèmes se construisent en énumérations saccadées d'images qui s'entrecho­quent. Dellisse semble avoir renoncé à en­tretenir des illusions mais il cultive encore une certaine véhémence (« la schlague sur les vitres » ou « le deuil violet de la panique ») en songeant sans doute qu'il sera toujours bien assez tôt pour être sage (« Aucun dieu ne t'attend au fond du labyrinthe »). La mort est omniprésente en filigrane de ce recueil. Elle se manifeste dans la manière d'exprimer le temps (l'auteur fait retour à sa propre adolescence, évoque une grand-mère) ou de considérer le néant (« l'abdo­men de la maison en ruines ») mais aussi dans l'usage d'un vocabulaire où on trouve « limbes », « pythies » et autres « revenants ». Elle s'exprime aussi dans le constant souci de garder un rapport au corps, un corps dont le fonctionnement est précisément au centre des préoccupations. Ici, l'organe pré­cède, et de loin, l'esprit ; il y a, avant toute autre chose, une masse porteuse de vie qui, tour à tour, se traîne ou s'exalte.


Pascal LECLERC
Chagrin l'infirme
Ed. de l'Acanthe
coll. Terre Amarante
2000
24 p.

Un corps au quotidien, charriant du sang, sécrétant de la salive, parfois entravé (« le sexe emmi­touflé dans le surplis »), un corps plus religieux, porté au sacrifice, ou un corps blessé, subissant le goutte à goutte et confronté aux appareils chirurgicaux. Une blessure qui s'affirme sans doute comme la première des caractéristiques d'une écriture dans laquelle abondent les lézardes, coups de fouet, zig­zags, scissures (« papa rira canif, maman pe­tits ciseaux »), griffes, échardes et tessons. L'univers de Luc Dellisse n'est pas incohé­rent mais déchiré, crevassé. L'eau elle-même, de l'étang à la lagune ou à la haute mer, ne cicatrise rien malgré sa surface plane : elle est tantôt appel du large, tantôt rappel de naufrage. Restent cette « clarté de veilleuse », cette proximité des lampes et cette recherche de lumière qui laissent en­tendre, non sans humour et avec un clin d'œil de connivence, que si le désordre est apparent, l'essentiel est ailleurs. Et que le corps d'Aphrodite a le goût de myrtilles.

A l'inverse, Karel Logist fait retour au monde sans faille de l'enfance, cette période idyllique pendant laquelle « Les mamans vont devant / dans leur robe de bal ». Tout est un peu merveilleux, un peu magique ou un peu irréel, même si on craint le pire (« Potons pour savoir qui de nous / un deux trois ne grandira pas ») et on sait que « les jeux sont faits à l’ avance ». Cela n'empêche pas de faire ses devoirs sur les genoux, de sentir le passage du marchand de sable, de mettre le cartable sur le vélo. Le monde de l'enfance a des allures de conte de fées ; Logist en trouve le ton et se sou­vient d'une époque où tout semblait réglé par des géants. Sans regret, sans nostalgie, il dit comment le monde s'est ouvert et qu'il y est entré.

Pascal Leclercq raconte lui une solitude, une douleur qui se répète parce qu'en s'ex­primant elle inflige une nouvelle souf­france ; elle s'alimente à sa propre source et fonctionne « à coup de mots caillés ». « La chambre est un maquis » et « mon nom / est un sérail où le furet démange » : on com­prend vite l'ampleur de ce chagrin même si l'auteur a la pudeur de ne pas nous en indi­quer la raison. Le chagrin se mue en rage, d'ausculter le corps meurtri ou d'affirmer la virulence des sentiments, et s'exalte mais reste infirme, impuissant à se dépasser. Voilà quatre recueils qui pousseraient à penser que la beauté est soluble dans le temps. 

Jack Keguenne 

 Karel LOGIST, Retour., Ed. de l'Acanthe, coll. Terre Amarante, 1999, 24 p.