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Critiques de livres


Ariane LEFORT
Beau-fils
Paris
Le Seuil
2003
171 p.

Un amour qui ne dit pas son nom

Depuis son premier roman, L'eau froide efface les rêves, le seul de ses livres à être paru en poche (éditions Ancrage), on sait qu'Ariane Lefort, telle une romancière anglaise (Anita Brookner, Elisa­beth Taylor...) excelle à étudier à la loupe les échantillons de vie ordinaire et à analyser les sentiments en les tournant et les retournant dans tous les sens, en prêtant attention à leur moindre variation. Cette fois encore, et cette fois pour un type de relation qui a jusqu'à présent été peu traité par la littérature, celle qui se noue entre une femme et le fils de l'homme avec qui elle vit/a vécu sans être ma­riée. Il n'est pas son fils (même si certaines circonstances, si certains désirs secrets pous­sent à agir comme si), pas non plus son frère ni son cousin, voisin, ami, amant, il n'est abso­lument rien de tout ça, il n'est pas son beau-fils non plus, contrairement à ce qu'annonce le titre, mais faute de vocable exact, autant prendre celui qui s'en approche le plus. Beau-fils commence quand, après deux ans, finit, dans le silence, la relation entre Lili et Marien, au moment de leurs derniers ins­tants, et qu'elle se met à penser à Matthias, son fils à lui et au nouveau statut de leur rela­tion. Pourquoi les gestes de tendresse se re­trouvent-ils interdits ? Parce qu'elle n'est pas sa mère ? Pourquoi faut-il que la relation avec le père terminée, celle avec le fils s'arrête dans la même foulée ? A quel degré de familiarité faut-il se limiter ? Pourquoi y a-t-il toujours un léger embarras d'elle à lui ? Etc. A l'ori­gine de ces questions, aucun trouble amou­reux, sensuel ; il n'est pas encore installé, s'installera plus tard, au fur et à mesure, en elle, sans qu'elle s'en rende compte. Ce qui se passe en lui, on l'ignore. Le roman est tout entier centré sur Lili ; la vie, les gens, ce qui se noue et se dénoue, ne sont vus qu'à travers ses yeux, sa perception. Son corps. Ce qu'on sait donc, c'est quelle n'a pas réussi à rompre le lien, même si elle s'est tailladé la main sans le faire exprès, c'est qu'elle a prêté sa cave pour qu'il y installe son atelier de potier, et qu'elle est très jalouse quand Eva, sa collègue de travail (à elle) se met à le voir régulière­ment et à coucher avec lui. En étant si proche d'elle, le lecteur est dans le même aveugle­ment, ne voit pas la substitution du père par le fils, le fils qui fait de la poterie comme son père, qui a le même corps que lui. Les élé­ments étaient pourtant égrainés par la roman­cière, discrètement pour qu'ils s'insinuent en nous et prennent toute leur ampleur à la fin de cette histoire, fin qui n'est peut-être qu'un début, qu'une barrière à franchir.

Pour terminer, et pour le dire juste en pas­sant, il est étrange de constater à quel point des motifs littéraires sont associés à tel ou tel type de littérature. Lili travaille dans un snack et chaque fois que le texte nous y porte, on a l'impression de quitter la littéra­ture francophone et Bruxelles où le roman se déroule, pour nous retrouver plongés dans un tableau d'Edward Hopper ou en plein roman américain, qui ont mythifié ce genre d'endroit. Une touche d'exotisme qui n'est pour déplaire dans ce roman tout en finesse sentimentale.

Michel Zumkir