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Critiques de livres


Pol VANDROMME
Bivouacs d'un hussard et Souvenirs
La Table ronde
2002
230 p.

« Un privilège absolu à la littérature »

J’écris d'instinct, dit Pol Vandromme. Oh, le futé ! Il a raison de se gausser des « croque-morts de l'Université » : il en a tant à leur remontrer... Sa boulimie liseuse lui a procuré de plantureuses ven­trées de bonne littérature, il a séparé le grain de l'ivraie et rien de ce qui fait un style ne lui est étranger. La phrase a de la cuisse et du nerf, tant épu­rée qu'on y voit l'os, insolente, cravachée, bondissante, elliptique : « Quand Bernanos cessa d'assombrir le soleil bordelais, Mauriac put prier en Escobar le Dieu de Pascal sans être soupçonné de conduire au bordel de Proust la petite fille Espérance de Péguy. » L'imparfait de Flaubert, Pol Vandromme connaît, merci : ce temps lui va bien, qui dé­poussière, qui rafraîchit, qui réinstalle sa mé­moire point oublieuse dans un présent tout neuf et tendre : « Roger Nimier jouait par­fois à être Sainte-Anne pour mieux dissimuler qu'il était d'abord Sanders. Ces deux person­nages, dont les voix contrastées formaient la trame du dialogue secret du Hussard bleu, se chamaillaient en s'entendant bien. L'un composait la figure parisienne de Nimier, l'autre sa figure bretonne. » Un hussard bien né a la phrase courte, cinglante, prétend-on ; mais qu'il s'engoue et c'est la déferlante : chez Dumas, « le galop était plus rapide, la désinvolture plus adroite, les estocades plus viriles, le vin plus frais dans les verres, les luronnes plus aguichantes dans les meules : tous les sacs et tous les tours dedans, tous les fleurets et tous les frémissements de la blan­cheur des armes », il y en a comme ça une demi-page... Et l'école qui dénonçait, elle avait bien raison, l'allure bovine des génitifs, elle a bonne mine, l'école, quand elle lit que la littérature, c'est « l'artiste sans le camou­flage de ses vertiges intimes, la misère de l'individu écartelé et nu, la musique des cha­grins, la souffrance dans les marges de la vie et le clair-obscur du monde, la couleur rimbaldienne des aubes navrantes. » Et la méta­phore filée, et le portrait-charge buriné comme une eau-forte, et la vigueur musclée des antithèses pour dire la difficulté d'être, et le mot qui tue, et la phrase qui se relit pour se corriger dans la paronomase (« On buvait et on se saoulait ensemble. Ivresse ri­mait avec allégresse. [...] On buvait en­semble, et on était saoul tout seul. Ivresse ri­mait avec détresse. »), et la ronde joueuse des épithètes, et le chapelet (égrené à toute al­lure) des phrases haletantes : « Le monde à l'Orient battait l'or de sa monnaie, enfilait ses perles, brodait ses velours, balisait ses mi­roirs, fleurissait ses gondoles, jetait le temps à pleines mains, écumait l'aurore, distribuait ses trésors de contrebandier, ouvrait les portes de ses labyrinthes aux bêtes qui jusque-là vécurent dans la nuit, lâchait tout à bride abattue... »

Cette rhétorique légère, si légère, on n'en aperçoit pas les coutures, au service de quoi ? De l'évocation de mille souvenirs, parmi les­quels la tentation de l'exil parisien ; le pa­triotisme du père et le christianisme rigoriste de la mère ; le vertige du plomb, de l'encre et du marbre dans un journal de province ; la connivence avec quelques chroniqueurs littéraires ; les écrivains français de Flandre ; Tintin et les zèbres balle au pied ; les amitiés surtout — qu'on lira plus avant... Par ailleurs il est temps, plus que temps de défausser une image trop reçue (comme on dit des idées reçues), et souvent avec mau­vaise foi : celle de Pol Vandromme. Voilà ce qu'il fut, voici ce qu'il est. Un enfant por­teur des valises d'un père résistant. Un catho davantage espérant que croyant : « jusqu'à la fin, je serai un libre-exaministe, avec plus d'incertitudes que de convictions fermes, plus de questions posées que de questions résolues, avec des dogmes qui m'agréent [...] et d'autres que j'interrogerai toujours sans dogmatisme de théologien, sans arrogance d'âme morte... » Un chroni­queur de droite « allergique à toute espèce tranchante de sectarisme » et défenseur d'un chroniqueur de gauche, Poirot-Delpech en l'occurrence, parce qu'il est « de bonne race, réfractaire aux comédies des gauchistes qui désertaient leur barricade pour courir en prébendiers au bureau de recrutement social-démocrate. » Un liseur pétri de cul­ture et de goût, privilégiant, hors de la file indienne, Vialatte, Morand, Aymé, Larbaud, le prince de Ligne, Cioran, Elskamp, Fargue et Bernard Frank. Un contempteur « des cœurs secs et des âmes basses. » Un « belge de passage, provincial de Paris, fran­çais à titre étranger, citoyen de la littérature française, indépendant apparenté au groupe antiparlementaire la France du bonheur ». Enfin, un amoureux de l'amitié, pratiquant celle qui ne se reprend pas. Les pages consa­crées à Roger Nimier (« C'était mon com­plice, mon conseiller, mon protecteur. J'étais mieux encore : son confident... ») sont plus que belles. Émouvantes à travers l'admiration vouée au talent, à la flamboyance d'écrire, à la générosité, à la loyauté, à la noblesse, aux facéties et, pour tout dire, à un « enfant du bon Dieu (figure d'ange, moue boudeuse, regard clair battu par de longs cils soyeux : les femmes en pâ­moison devant lui...) ».

Pol Charles