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Critiques de livres


Benoît COPPÉE
Bleus
Memor
Transparences
coll. Couleurs
2001
240 p.

1, 2,3... couleurs !

Avec le bleu, tout est possible. Bleu du ciel, sérénité. Bleus à l'âme, bleus au corps, douleur. Bleu je veux, bleuette, bas bleu, fleur bleue : déri­sion. La gamme est illimitée. Dans la collection Couleurs, aux éditions Memor, Benoît Coppée a donc écrit Bleus. Une histoire d'amour. Une rencontre en magicolors. Ça pourrait être une histoire à l'eau de rose. Ça pourrait tout aussi bien être du Zola fin de XXe siècle, avec les coups, la misère morale, la taule, la dé­chéance, la mort d'un enfant. Et ce n'est ni bleu bonbon, ni bleu nuit, mais un jeu constant du blanc aux noirs, un jeu avec l'intensité des couleurs. C'est une histoire contemporaine qui se nourrit des contradic­tions et des douleurs de notre temps, une écriture qui n'oublie ni l'existence d'une rhétorique du cinéma, ni l'habitude des images et des médias et de leurs mensonges possibles.

Max est en prison, dans la grande prison blanche. Camille est fleuriste, elle joue avec les couleurs des fleurs. Elle a un vélo « orange comme une orange ». Son homme, le peintre, conduit une DS bleu marine aux fauteuils rouges. Leur petite fille s'appelle Lucie et elle réclame sans cesse l'histoire des pensées.

Dans le blanc vide de la prison, Camille fait irruption avec les couleurs, les couleurs de la vie. Sa robe est jaune. Elle a un collier aux perles rouges, jaunes et bleues, des chaus­sures bleu papillon et des fleurs multico­lores. Pour Max perdu dans le blanc sale de la prison, dans la grisaille de la vie incolore et insipide, cette rencontre a l'allure d'une renaissance, d'une envolée. Son gardien ne s'y trompe pas qui tente maladroitement d'interdire un nouveau rendez-vous. Trop tard. « Ici, dans la grande prison blanche, le moindre bruit d'humanité prend immédiate­ment une couleur particulière. » C'est le pre­mier instant d'une vraie rencontre où un dé­tenu sensible perçoit la fragilité de l'autre qui vient pourtant du monde libre. « Elle a dit bonjour avec un écureuil bleu déposé sur la voix. (...) Il y avait comme une tendresse dans le bonjour prononcé à des lunes de métal et des portes rouges. Une tendresse. Or, Max le sait bien ; la tendresse est toujours le fruit d'une blessure. » Voici donc par quels chemins Be­noît Coppée va pénétrer la tendresse et la détresse des gens, l'univers carcéral injuste, la violence conjugale, l'impossible deuil d'un enfant, les douceurs et les douleurs de la vie. Coppée joue des formules que le jeu des couleurs lui permet. C'est parfois irri­tant à claquer le livre d'un coup sec et exas­péré comme lorsque les journalistes de la rubrique faits divers écrivent la cavale de Max à l'encre bleue. C'est parfois cru comme les mots qui ricochent sur les murs d'une pri­son. C'est aussi parfois joliment dit, avec de petites phrases qui sonnent juste, comme des sentences ou des bribes de poèmes. Bleus raconte des histoires que vous lisez tous les jours dans les faits divers mais avec, en sus ici, les dessous de l'âme et la poésie des mots, et aussi une certaine force dans le dessin des personnages et dans la narration. Bleus ne va pas révolutionner la littérature, mais peut se tailler un joli succès de librairie si les vents favorables lui amènent les lec­teurs adéquats.

Nicole Widart