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Critiques de livres

Jean Botquin
La gondole de l'Orient Express
Tenneville
Memory Press
2008
212 p.

L'imagination vagabonde
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 152

Après sept recueils poétiques et trois romans, publiés en l'espace d'une dizaine d'années, Jean Botquin nous propose, avec La gondole de l'Orient Express, une mosaïque d'histoires brèves, de toutes les couleurs.

Blanche, à l'image de l'inconnue glacée, reine des neiges surgissant de nulle part, avide d'amour car elle sait ses heures comptées («La cape blanche»).

Noire, pareille à l'eau de la citerne qui effraie et fascine Mélanie, à la manière d'un génie malfaisant («L'eau noire»). Rouge, telle la grande voiture rutilante qui se mue en cercueil de son conducteur, repêché au fond d'un canal, le jour où sa réplique en modèle réduit était jetée dans le bassin aux nénuphars du jardin par un petit garçon furieusement jaloux de l'amant de sa mère («La dame aux nymphéas»).

Feu, comme le train incendié emportant dans la nuit, du Caire vers Louxor, des voyageurs affolés et un vieil écrivain aveugle, étonnamment serein, que d'aucuns croient mort depuis des années, alors que «les écrivains égyptiens sont éternels comme les pharaons qu'ils vénèrent» («La nuit interrompue de la déesse Nout»).

On s'y perd un peu, l'imagination vire à l'élucubration, l'écriture se fait parfois hâtive, approximative.

Mais certaines nouvelles touchent et retiennent.

«Un amour délocalisé» et ses lettres frémissantes qui abolissent la distance séparant les amants. «Tes caresses me font rêver et penser que nous ne pouvons plus mourir, désormais», écrit Noël à Anaïs. «Aujourd'hui, je transgresse mes interdits, je vis une espèce de folie, je me sens devenir femme comme si je ne l'avais jamais été», écrit Anaïs à Noël. L'amour est pour chacun recréation, renaissance, retour à «la vraie vie» qu'ils épousent enfin, l'un par l'autre. Bouleversante, mais fragile…

«La mezzanine», que Julie avait fait construire dans la chambre de musique dévolue à son mari violoncelliste, qui est restée son refuge après le départ de l'époux infidèle, et qu'elle transporte désormais, contre vents et marées, dans toutes ses pérégrinations, comme si c'était une partie d'elle-même.

«Le parfum redoutable de la ressemblance», une ressemblance angoissante à force d'être parfaite entre une mère et sa fille, celle-ci étouffant de n'être que la copie, la réverbération, le halo de celle-là. Comme si sa mère, en lui donnant la vie, la lui avait irrémédiablement volée.

«Les Virgile», la plus émouvante, où un père et un fils, Italiens fixés dans la région du Centre, scellent leur tendresse dans l'exaltante liesse du cortège des Gilles de La Louvière, dansant exceptionnellement sur le pavé de la Rome éternelle.

Et la plus belle, qui donne son titre au recueil, et jette aussi un pont imprévu entre l'Italie et nos brumes. Une histoire d'amitié, proche d'un conte de fées, qui permet à un vieux gondolier d'exaucer son rêve : quitter Venise pour rejoindre ses enfants, établis dans le Hainaut, sans abandonner sa barque bien-aimée… L'inattendu, alors, touche à la poésie.