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Critiques de livres


Maurice MAETERLINCK
Bulles bleues
Le Cri
1992
coll. « A découvrir »
181 p.

Attention, fragile !

Les Bulles bleues que Maeterlinck ras­semble au soir de ses jours sont les souvenirs heureux de son enfance. Bulles fragiles et innocentes, elles sont au­tant d'îlots de bonheur dont les couleurs s'irisent en s'élevant de la mémoire d'un vieil homme. Non pas remparts illusoires contre la mort, mais humbles grains de poussière que l'on voudrait emporter avec soi au-delà de la vie parce que, précisément, ces souvenirs accompagnent toute une vie. Il est rare de voir un écrivain à l’œuvre si marquante, si novatrice, recueillir avec tant de simplicité les menus faits de sa jeunesse, sans prétention au moindre effet. Toute trace d'effort et d'intention abolie, il en ré­sulte une telle légèreté, une telle « transpa­rence », qu'il ne reste plus au lecteur que le plaisir, sans mélange, de l'écriture. Bien sûr, l'anecdote n'y est pas sans intérêt. L'univers d'un jeune garçon élevé dans la bourgeoisie gantoise du dernier quart du XIXe siècle ne manque pas de pittoresque à nos yeux. Certains contrastes sont savoureux. Ainsi celui entre l'aisance, la douceur de vivre, l'opulence de repas magnifiques et toute l'énergie qu'il faut déployer pour se dépla­cer en famille, avec armes et bagages, de quelques vingt kilomètres dans l'espoir de contempler la mer (en vain, le but ne sera jamais atteint). Ou encore entre le décor fa­milier du jeune Maeterlinck, arbres, fleurs, abeilles et canaux, et l'austérité du collège de Jésuites où il fait ses études. Etonnants aussi sont les premiers pas, gauches, hésitants, de l'écrivain dans la vie littéraire, où l'on perçoit plus de surprise à être reconnu que de vanité. S'il est des souvenirs plus graves, ou plus étranges, toutes ces bulles bleues, « si pâles qu'elles soient, (...) planent encore dans les rayons d'azur qui les revêtirent d'illusions ».

Dominique CRAHAY