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Critiques de livres


Colette NYS-MAZURE
Célébration du quotidien
Paris
Desclée de Brouwer
coll. « Littérature ouverte»
1997
Préface de Gabriel Ringlet
173 p.

Quelques pages

Faut-il confier aux autres ce que l'on ressent comme une sagesse, comme une expérience bonne à dire ? Faut-il se risquer à énoncer une vérité, même très simple, même modeste ? Colette Nys-Mazure en assume la gageure dans une Célébra­tion du quotidien qui épouse les rythmes de la vie, ses morcellements, ses sursauts et ses plages de paix, de calme conquis. Le développement de l'essai se partage entre lieux d'écriture et thèmes de réflexion, qu'entrecoupe le vrai fil conducteur du livre : la ma­ladie d'Elisabeth, l'amie fidèle, son courage et sa lutte sereine contre la mort. Dans un ouvrage qui met en exergue le secret héroïsme de tous les jours, vécu par une femme qui lit, écrit, voyage, mais aussi cui­sine, jardine, élève et veille enfants et petits-enfants, chacun prend son bien où il le trouve, et quelques pages suffisent pour peu qu'elles parlent au cœur. Quand elle écrit « du silence » ou « de la patrie des livres », l'essayiste trouve le ton et les mots qui tou­chent : « (...) récits d'aujourd'hui, dans le train, à la petite ramassée sur mes genoux, aux frimousses étagées des lits superposés ou à l'oi­seau du lit cage. Les yeux luisent dans la pé­nombre, le souffle reste suspendu ».


Colette NYS-MAZURE
Enfance portative
Avin
Editions Luce Wilquin
coll. « Zobéide »
1997
72 p.

Par ailleurs se donne à lire, en filigrane, une philosophie morale que guide la foi chrétienne et à la­quelle il est permis de ne pas adhérer. L'heure semble en effet à l'optimisme si Dieu existe, si je crois à sa présence conso­lante, si je crois à la résurrection des proches qui ont souffert et rejoint la mort. Une lu­mière singulière irradie chaque aube nou­velle, un bonheur intense peut suivre le geste le plus humble. L'écrivaine exalte la grandeur du banal et s'en justifie : « Serait-il plus noble de se passionner, par écran interposé, pour les problèmes mondiaux plutôt que pour la vie ordinaire, sous le toit d'une maison ? Toute à ma déploration du malheur de l'univers, est-ce que je ne risque pas de ra­brouer l'enfant qui suce son crayon à mes côtés, de négliger sa question ? » La cueillette gour­mande des joies familiales et le privilège accordé aux événements de la sphère privée confèrent à l’ici et maintenant de Colette Nys-Mazure une image d'espace préservé, à l'écart du monde, comme une antichambre de l'Eden.


Colette NYS-MAZURE
Le for intérieur
Chaillé-sous-les Ormeaux
Le dé bleu
1996
Préface de Daniel Gélin
107 p.

Tel qu'il est célébré, le quotidien n'a pas seulement apprivoisé l'inéluctable de la mort : il s'est encore protégé d'une agita­tion politique et sociale à laquelle pourtant nul n'échappe et qui, naturellement, peut s'avérer aussi bien locale que mondiale. Alliant réflexions et récits personnels, Célé­bration du quotidien comporte également plusieurs citations de poèmes de l'auteure de Haute enfance. Pour celle qui affirme que « écrire, c'est respirer mieux, garder souffle ou reprendre haleine », la poésie demeure le lan­gage d'élection, seul à même, sans doute, de libérer l'imaginaire de ses pudeurs, de ses non-dits. Deux recueils le confirment au­jourd'hui. Le dernier paru, Enfance portative, met justement les enfants dans la confidence et leur en apprend sur eux-mêmes. C'est moins souvent grave que léger, parfois iro­nique, toujours tendre : « Tu traverseras ta vie/ avec l'aisance grave de tes dix ans/ la peur en laisse et la voix chaude ». Couronné l'an passé du Prix Max-Pol Fouchet, Le for intérieur recèle une autre dimen­sion, en particulier dans les deux premières parties, qui proposent autant d'instantanés en prose pour rencontrer l'autre, lui offrir un chant nuptial et tuer les solitudes. Des saynètes se déploient, dont on est le témoin. Au besoin des métaphores concrètes vien­nent atténuer l'abstrait des sentiments, rendre leur part à l'herbe ou à l'écume : « Une odeur de paille ancienne prend les amants à la gorge. / Dans la nudité du jour, un corps à l'autre se noue et les murs s'embra­sent, les mains s'étonnent. (...) Après les som­meils de farine, se rompra volontiers le pain de l'aube. » Qu'il s'agisse d'amour ou d'enfance, les textes évitent le miel et les sentences lénifiantes, car l'inquiétude sourd dans une na­ture trop belle, dans la netteté trop parfaite d'un jardin. La mort n'est jamais loin, qui « apposa les scellés sur l'enfance » et « cadenassa l'avenir », mais le désespoir n'a pas sa place dans ces pages : c'est le renouvellement et la fécondité qui ponctuent un ensemble poé­tique très maîtrisé.

Laurent Robert