Les mots secrets du cobra
Collectif d'artistes, le mouvement Cobra s'était garanti à vie — même si certains, comme Dotremont. ou Jorn. n'eurent droit qu'à une trop courte expérimentation — contre la stagnation mentale. En effectuant un parcours aussi bref (19-18-1951) qu'intensément libre, non assujetti aux pratiques marchandes des professionnels de la vente — ceux-ci se sont bien rattrapés depuis —. en col n (signant sur la toile et le papier ce jaillissement spontané du geste qui rattrape l'écriture. Cobra fut bien près de réaliser plastiquement ce que Dotremont appelait « la vrai poésie : celle où l'écriture a son mot à dire ». Les perspectives individuelles qui s'ouvrirent à la plupart des maillons de la chaîne Copenhage-Bruxelles-Amsterdam après la dissolution du groupe perpétuèrent également un état d'esprit plastique où le poétique avait encore droit de parole. Il semble donc malaisé, autant que difficile à justifier, de vouloir dissocier chez les uns et les autres ce qui relevait d'un langage pluriel, d'une poésie naturellement née à la vie. A y regarder deux fois plutôt qu'une, cependant, on s'aperçoit que l'idée de Jean-Clarence Lambert de restituer en un volume les vibrations poétiques des membres de Cobra, et en tout cas de donner un aperçu non réducteur de la poésie Cobra à travers quelques-uns de ses plus signifiants écrits, cette idée tient la route. Si une large diffusion des oeuvres plastiques de Cobra est aujourd'hui chose faite, si la réédition, chez Jean-Michel Place en 1980. de la collection complète de la revue a permis de mieux saisir la démesure vitale qui agitait le petit groupe de la rue de la Paille, il n'en reste pas moins que l’œuvre poétique de Christian Dotremont. par exemple, demeure, malgré plusieurs parutions (comme le recueil Isabelle à La Pierre d'Alun, en 1985). encore méconnue. Ht que dire de ces Danois. Jens August Schade. Jôrgen Nash (frère de Asger Jorn). Carl Henning Pedersen. de ces Hollandais comme Lucebert. Karel Appel ou Jan Elburg. dont les textes, publiés dans Cobra. l'étaient souvent dans leur langue originale, sans traduction ? Outre ceux-ci. Marcel Havrenne — venu du groupe « Rupture » —. Joseph Noiret, Paul Bourgoignie bientôt tous les trois dans Phantomas, mais également l'inclassable Armand Permantier, Alechinsky et Jean Raine — autre grand insaisissable — Jacques Galonné. Edouard Jaguer — futur initiateur de la revue Phases — se retrouvent côte à côte. Présentant les uns et les autres dans leur territoire d'origine, antérieurement à la fondation de Cobra. Jean-Clarence Lambert insiste sur un dénominateur commun, le surréalisme, pierre antagoniste mais fondamentale sur laquelle trébucheront et/ou s'appuieront ces poètes en rupture d'orthodoxie. Un goût parfois lassant pour certaines traditions folkloriques contrebalancé par l'expérience un peu folle d'un renouvellement total de l'expérience vitale — à laquelle on peut opposer « l'expérience continue » de Nougé — ont singularisé aussi l'aventure Cobra. Dans ce petit volume, il sera davantage question de langage, jeux de mots, associations, collages, glissements de sens. Tonalité particulière, gratuitement poétique de Cobra, où l'écrit serait, comme le dit Uffe Harder. « une chose perdue pour la prochaine fraction d'impossible ».
Alain DELAUNOIS
Cobra Poésie, anthologie établie et présentée par Jean-Clarence Lambert. La Différence, coll. Orphée. n°126, 187 p.