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Critiques de livres

Gaston Compère
Caroline et monsieur Ingres
Bruxelles
Le Cri Édition
2006
181 pages

Au cœur du tableau
par Francine Ghysen
Le Carnet et les Instants n° 143

Connaissez-vous le Portrait de Caroline Murat, reine de Naples? Ingres l'a signé à Rome, en l814. L'année suivante, le tableau disparaissait dans la tourmente qui emportait le couple placé par Napoléon sur le trône de Naples : exécution de Murat, fuite en exil de Caroline – que plus personne n'identifierait sous les traits de cette longue dame en noir, au demi-sourire effleuré d'ironie, debout devant une fenêtre découvrant un paysage incomparable : la baie de Naples et le Vésuve empanaché de fumée blanche. Jusqu'à ce que l'œuvre et son personnage resurgissent en 1990, dans tout leur éclat et leur mystère.

Grand amateur d'aventures littéraires originales, Gaston Compère a tenté de pénétrer au cœur du tableau. De percer le face à face entre le peintre et son modèle.

Lui, c'est Jean-Auguste-Dominique Ingres, la trentaine, venu perfectionner son art à la Villa Médicis. Elève rebelle de David, aspirant à «un art classique, oui, mais sans cesse transcendé», qui martelait que «le dessin est la probité de l'art». Ingres : le sérieux même, la détermination, l'exigence passionnée, alliés à un talent magistral. Un caractère renfermé, sombrement ardent, qui a trouvé la paix du cœur en Madeleine, épouse aimante et ménagère accomplie.

Elle, c'est Caroline Bonaparte, la plus jeune sœur de «cet empereur empli d'orgueil et de tempêtes», que Talleyrand définissait à sa manière drôle et tranchante : «une tête de Machiavel sur un corps de jolie femme». Caroline : le goût du pouvoir, l'ambition à peine cachée sous une gaieté charmeuse, l'appétit de vivre, de séduire, qui ne saurait se limiter au vaillant Murat, plus doué pour les exploits militaires que pour les subtilités amoureuses.

Gaston Compère nous fait vivre l'histoire en creux du portrait de Caroline. Comment Ingres le rêve, avant même d'avoir vu la reine de Naples qui le lui a commandé. Leurs premières rencontres, où le hasard joue un rôle cocasse! Leurs dialogues, souvent étincelants, parfois acérés, où l'affrontement ouvre sur une reconnaissance mutuelle et, fugitivement, sur une complicité amicale.

Une fois sûr de ses esquisses, Ingres ne se laisse pas retenir et repart pour Rome, où il réalisera le tableau.

Avec une allégresse contagieuse, Gaston Compère donne libre cours à sa verve de conteur, son penchant pour les digressions piquantes, mais aussi à son intuition du processus de création. Tour à tour grave et facétieux.

On en oublie une construction inutilement compliquée, trois narrateurs se succédant, dont le dernier n'est autre que le peintre, à travers ses propos confiés à un ami qui avoue les rapporter très librement...!

Si l'on en croit ces «confidences», monsieur Ingres était sourcilleux en matière d'orthographe : «personnellement, je passe sur bien des fautes, sauf celles d'orthographe. Et qu'on ne vienne pas me soutenir que l'orthographe n'est rien qu'une vanité; mieux que la ponctualité, elle est la politesse des rois».

Il eût sursauté plus d'une fois en lisant ce roman, qui lui rend pourtant si finement, spirituellement, hommage.