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Critiques de livres


Dominique COSTERMANS
C'est moderne.com
Avin
Luce Wilquin
coll. Luciole
2005
67 p.

Voix extérieure

La littérature — sans nécessaire­ment lui mettre un grand « 1 » — reflète la vie de tous les jours en épinglant une part de réel juste suffi­sante pour être vraisemblable — sonner juste ; elle piège le lecteur (ou l'au­teur !) dans son quotidien puis lui tend, pour méditer, un miroir dans le­quel il se reconnaît ou se découvre, amer ou amusé. Le réel s'arrête à des dé­tails comme les anecdotes font l'histoire et les faits anodins constituent ou dé­truisent une vie.

Dominique Costermans a choisi de cro­quer dans ce petit livre un de nos tra­vers postmodernes, tellement bien ancré dans nos habitudes qu'on a par­fois du mal à se souvenir qu'il est pour­tant tout récent, à savoir notre usage de ces téléphones portables qui ont, en toute impudeur, amené sur la scène pu­blique des comportements jusqu'il y a peu réservé à l'intimité. Et encore Cos­termans ne s'attache-t-elle qu'aux ma­nies — qu'on entend aussi bien qu'on les observe — liées aux conversations té­léphoniques, laissant (gentiment) de côté tous les tics, gestes nerveux et autres manipulations maniaques de l'appareil en veille.

C'est vrai qu'il y a de la matière, depuis le rituel « tu es où ? » qui a remplacé le courtois « comment vas-tu ? », jus­qu'à ces Italiens qui — le téléphone de­vient burlesque — continuent à parler avec les mains, en passant par ceux qui se ruent (l'une dans son sac, l'autre dans une poche) sur le merveilleux boîtier dès qu'une sonnerie se fait entendre dans les environs (variante : à la cafété­ria de la piscine, ceux qui plongent...). Sans oublier que le téléphone est traité, à l'instar de la manière dont les cravates ou les attachés-cases sont portés, selon des codes de castes, rigoureux mais parfois obscurs, et qu'il ne bénéficie pas de la même considération dans une réunion de travail, un train belge ou à une ter­rasse de café stambouliote. Mais il y a aussi que la sonnerie vient parfois interrompre la magie d'un ins­tant, que tel qui vient de converser est pris au piège de l'étrange image qu'il a donné de lui ou que quelques mots saisis au hasard intriguent assez pour aiguillon­ner la curiosité et donner l'envie d'en sa­voir plus sur celle qui s'exprimait ainsi, au point de se décider à la suivre... Puisque l'usager du téléphone portable a rompu avec les anciennes convenances de discrétion, puisque son impudeur, voire son exhibitionnisme, s'étale publi­quement, les droits de commenter les conversations et d'épiloguer sur les atti­tudes sont ouverts... Ce que fait Domi­nique Costermans sur un ton doux-amer, en maniant l'ironie et l'humour léger dans ces brèves fictions. Elle jette un regard tonique sur un monde un peu désespérant, offrant, quoique par­fois exaspérée, une part de tendresse, et elle glisse, subreptice ou percutante au gré de la vie, de la manière métaphy­sique au style du café du commerce, dé­couvrant même, perle parmi ces bavar­dages, un silence très sûr. Un petit livre pas indispensable du tout, mais subtilement divertissant. Ou com­ment Dominique Costermans ajoute de l'esprit à ceux qui n'en ont pas (tou­jours au bon moment).

Jack Keguenne