pdl

Critiques de livres

Alain Dartevelle
Treize fois moi
Paris
Éd. Sens & Tonka
2006
282 p.

Petit précis d'assimilation
par Thierry Leroy
Le Carnet et les Instants n° 144

Avant d'écrire, les écrivains sont souvent de grands lecteurs. C'est un lieu commun. Et leurs lectures influencent forcément leurs œuvres, pour le meilleur ou pour le pire. Autre lieu commun. L'impact d'un auteur sur un autre se retrouve par fois au cœur de la fiction. On se souvient, dans le domaine de nos lettres, de Artaud Rimbur, de Jean-Pierre Verheggen ou de L'oculiste noyé de Patrick Roegiers. Treize fois moi, de Alain Dartevelle, qui vient de paraître aux éditions Sens & Tonka, s'inscrit dans cette veine.

De prime abord, l'ouvrage se présente comme une collection d'hommages à une série hétéroclite d'auteurs et d'artistes semblant n'avoir pour seul point commun que de faire partie des goûts éclectiques de l'auteur qui les a réunis. Les textes plongent à chaque fois l'artiste dans une situation typique de leur œuvre, qui découle d'une citation mise en exergue de chaque section. Les artistes s'expriment souvent dans des récits à la première personne (Toulouse-Lautrec, Glenn Gould ou Simenon) mais sont parfois appréhendés par un de leur proche (Oscar Wilde évoqué par son épouse ou Borgès dont une assistante relate une soirée). Les textes sont ciselés mais évitent toujours l'écueil du pastiche. S'il se limitait à sa seule dimension de florilège, l'ouvrage serait déjà une réussite. Mais le livre propose deux autres niveaux de lecture.

Le lecteur réalise rapidement que les situations, campées au départ avec réalisme ou vraisemblance, dérapent de façon surprenante et éclairent les artistes sous un jour inattendu. Perturbé, il prend conscience que les artistes sont irréductibles à un ensemble de stéréotypes. Dartevelle intègre aussi beaucoup d'éléments irrationnels. Le procédé est souvent en phase avec les auteurs qu'il évoque (Stephen King, Jean Ray ou Borgès) mais il surgit de façon beaucoup plus inattendue dans l'évocation du peintre David. L'idée s'impose alors que l'ensemble du livre peut s'envisager comme un hommage au fantastique, genre de prédilection de Dartevelle, dont il s'amuse à déceler des traces ou des potentialités inattendues. Le livre peut aussi se lire en continu et non comme une simple succession de fragments.

Le narrateur de la dernière section est Dartevelle lui-même. Le texte débute comme une postface dans laquelle l'auteur explique son projet. Mais il prend rapidement une toute autre allure et nous montre l'écrivain au travail, sur les traces de Kafka dont il pénètre littéralement l'univers jusqu'à s'y perdre. On réalise alors que l'ensemble de l'ouvrage peut aussi se lire comme un art poétique et que le «treize fois moi» du titre n'est pas une assertion un peu prétentieuse par laquelle Dartevelle se mettrait sur un pied d'égalité avec les artistes qu'il évoque. Treize fois moi est à la fois une sorte de reconnaissance de dettes et un mode d'emploi d'assimilation des auteurs dans son univers personnel.