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Critiques de livres

Jean-François Dauven
Le Soliste
Paris
Ramsay
219 p.

Dans un immeuble de Portosera
par Michel Paquot
Le Carnet et les Instants n° 147

L'an dernier, Jean-François Dauven, né à Bruxelles en 1979 et éditeur chez Fayard (où il rédige notamment certaines quatrièmes de couverture), nous avait enthousiasmés avec son premier roman, Le Manuscrit de Portosera la rouge. Il créait de toutes pièces une ville-État aux portes de Naples sur les bords de la Méditerranée, à laquelle il conférait une identité réelle par le recours à de pseudo articles encyclopédiques. Dans cet ancien port de pêche conjointement régi par la France et l'Italie, qu'il peuplait de nombreuses figure attachantes, il mêlait avec maestria plusieurs intrigues apparemment distinctes: la volonté du gouvernement de réglementer les bateaux-casinos mouillant au large des côtes, provoquant la colère – pas vraiment saine – de leurs propriétaires, une inquiétante et inexpliquée contamination de l'eau courante et la révélation par un historien local d'une correspondance témoignant que Michel-Ange aurait été pillé par Léonard de Vinci pour ses travaux hydrauliques, notamment ceux ayant servi à la réalisation de la fontaine de la Providence, prestigieux monument local qui porte son nom. Un manuscrit cité dans cette correspondance, et probablement caché quelque part à Portosera, révèlerait en outre un nouveau nombre d'or, «le secret de sa sculpture et de sa peinture, le rapport de proportions entre l'âme et le corps».

Dans son deuxième roman, Le soliste, le jeune écrivain fait un gros plan sur un immeuble d'un quartier populaire de Portosera. Il regarde vivre certains de ses habitants – une mère et sa fille propriétaires d'une pension de famille où descend une grande cantatrice, une vieille dame épiant à longueur de journées les allées et venues dans la cour, un serrurier dont la boutique est au rez-dechaussée et qui passe son temps à discuter avec son ami du premier, un Indien qui tient un magasin de nuit dans une rue adjacente, un couple avec un fils de 18 ans, etc. –, tout en tournant régulièrement son objectif vers l'unique narrateur du roman, un hommes seul dans son appartement, perpétuellement assis dans son fauteuil face à la fenêtre en écoutant des sonates de Beethoven.

Or c'est chez lui que débarque un jour un voisin excité par des découvertes concernant ce bâtiment construit à la fin du XIXe siècle: il a d'une part repéré un système d'interphone acoustique interne, aujourd'hui bouché, relié au même appartement, le sien, et il a remarqué que cet immeuble ne fait qu'un avec celui auquel on accède dans la rue arrière par un autre escalier. Une idée va ainsi germer dans la tête de cet employé au secrétariat d'Etat à la Culture et au Patrimoine qui avait plus ou moins coupé les ponts avec ses congénères : faire classer l'habitation qui, en plus, est soutenue par une structure métallique annonciatrice de l'Art Nouveau.

Sans peut-être retrouver la frénésie qui habitait son premier roman aux trames multiples et construit sur divers suspenses, Jean-François Dauven continue néanmoins de faire preuve d' un vrai doigté dans sa façon de recréer un microcosme humain, voyageant parmi les personnages avec souplesse et dynamisme. Ces hommes et femmes qui représentent chacun un monde différent révélateur du cosmopolitisme de la ville, il les suit soit à l'intérieur de leur immeuble, où ils restent le plus souvent des inconnus les uns pour les autres, soit dans la ville, et notamment au Café Madrid que fréquentent plusieurs d'entre eux, soit sur leurs lieux de travail ou dans les transport en commun. Construisant pierre après pierre ce monde clos, tout en renouvelant sa communauté humaine – un seul personnage, l'inspecteur Amadeo Bucella, est commun aux deux livres –, l'auteur donne à lire un roman purement imaginatif peuplé d'individus que nous croisons tous les jours. Un roman dont la morale pourrait être «L'enfer est pavé de bonnes intentions», le classement de l'immeuble comme monument historique ayant en effet des conséquences néfastes pour ses moins fortunés locataires.