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Critiques de livres


Jacques FRANCK
Des lieux, des écrivains
Tournai
La Renaissance du Livre
2003
253 p.

Des hôtels et des hommes

II y a le Grand Hôtel de Cabourg, où Proust observa à loisir maints person­nages, toute une société mêlée dont il peuplera son œuvre : il y passa plus de quatre cents nuits, pendant lesquelles il écri­vit une partie de la Recherche du temps perdu. Il y a l'Hôtel des Palmes, à Palerme : avant de devenir le lieu de rendez-vous préféré des parrains de la mafia, il vit séjourner l'ombra­geux Wagner, qui, rapporte Maupassant, parfumait ses caleçons à l'eau-de-rose ; il vit aussi mourir, probablement par suicide, l'ex­centrique Roussel — décès sur lequel se pencha Leonardo Sciascia, l'enfant du pays, pourtant si différent de lui. Il y a l'Hôtel Eléphant de Weimar, « ce trou de six mille habitants, où poules et cochons errent dans des rues malpropres et mal pavées », dont néanmoins, à l'invitation du prince Charles-Auguste de Saxe-Weimar, Gœthe fera une capitale culturelle de l'Europe, y attirant les meilleurs esprits de l'époque. Il y a encore l'Hôtel Cadogan de Londres, où Oscar Wilde, poursuivi en raison de l'« immora­lité » de son mode de vie, se laissa cueillir sans résistance par les policiers ; après avoir purgé deux années de prison, il mena une vie d'errance et de misère, durant laquelle il trouva encore la force d'écrire la célèbre Bal­lade de la geôle de Reading, que seul accepta de publier un éditeur de livres pornogra­phiques...

Ce ne sont là que quelques exemples parmi beaucoup d'autres. Pour rédiger Des lieux, des écrivains, Jacques Franck, directeur hono­raire de La Libre Belgique, a sillonné en tous sens le vieux continent. Il a fait le pèlerinage des établissements prestigieux où séjournè­rent, pour quelques jours ou pour des an­nées, tant d'écrivains de renom. A chaque halte, il cherche à nous rendre sensibles, par la description, l'évocation ou l'imagination, les traces de leur présence. Certains hôtels sont restés intacts, d'autres ont subi des transformations plus ou moins heureuses, d'autres encore ont été démolis et recons­truits à neuf. Tout au long de la vingtaine de chapitres qui composent le livre, c'est à un voyage à travers la littérature européenne que son livre nous convie. L'ouvrage fourmille d'anecdotes, tour à tour savoureuses, tra­giques ou étranges : Cocteau, habitué de l'Hôtel Welcome de Villefranche-sur-Mer, y occupait la chambre 22, mais il louait aussi la chambre attenante « pour fumer de l'opium, afin de garder la sienne intacte en cas de descente de police » ; Baudelaire, réfu­gié à l'Hôtel du Grand Miroir à Bruxelles, y entretenait une chauve-souris en cage, qu'il nourrissait avec du lait et du pain de mie, et ainsi de suite.

Mais l'anecdote ne doit pas dissimuler la somme de travail, de (re)lectures, d'investi­gations diverses qu'une telle entreprise a de­mandée. Comme, de surcroît, le livre est écrit dans une langue simple et agréable, et qu'il est d'une présentation soignée, voilà qui pourrait en faire, à l'approche des fêtes, un choix judicieux pour les cadeaux de fin d'année...

Daniel Arnaut