pdl

Critiques de livres

Régine Espreux
Peau de bois, peau d'acier. Histoire d'un marinier du XXe siècle
Le Coudray-Macouard
coll. Cheminements
2006
303 p.

Tout un monde à quai
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 149

Ceux qui sont pris par le virus de la navigation vous le disent : la vie sur l'eau est tout autre que sur la terre ferme. Régine Espreux se charge de nous le rappeler, elle qui s'est penchée sur la vie des mariniers qui passent sous nos yeux dans leurs lentes péniches. Partie du constat que peu d'ouvrages se sont intéressés à ceux que l'on nomme volontiers chez nous les bateliers, elle a réalisé un travail de recherche et prêté sa plume à James, ancien du métier qui a rassemblé pour elle ses souvenirs. En leur compagnie, nous revisitons les grandes étapes de l'évolution du métier. Le passage des embarcations en bois, qui nécessitent un travail d'entretien incessant, à celles, plus vastes et plus modernes, faites en métal. Elle évoque avec détail le temps où les péniches évoluaient grâce à la traction humaine et animale. Ce qui nécessitait un véritable équipage et une connaissance sans faille de la vie du fleuve, des variations du courant selon le débit de l'eau, des parcours le long des berges. Et puis la concurrence terrible des premiers moteurs, d'abord à la vapeur, puis à l'essence et au mazout, qui permettaient de vous doubler avant les écluses. Jusqu'à ce jour, où les parcours s'allongent et les péniches grandissent, qui sont désormais le plus souvent aux mains des compagnies commerciales. De toujours, cet univers a aussi forgé des hommes et des femmes hors du commun en raison de l'isolement relatif par rapport aux terriens, qui faisait d'eux des gens du voyage à la scolarité malmenée, aux liens relationnels distendus. Tout cela renforçant le sentiment d'appartenir à la fraternité chaude des hommes et femmes du fleuve au sein de laquelle se nouent les alliances et se transmettent les bateaux en héritage. Forte de sa connaissance personnelle de cet univers, qu'elle analyse cependant avec le détachement d'une voisine, Régine Espreux nous plonge dans les détails de la vie quotidienne, semant çà et là les anecdotes singulières qui donnent du relief au récit. Elle a réalisé aussi un travail linguistique remarquable en veillant à nous livrer le récit du marinier sans en modifier trop le vocabulaire. Mais encore en utilisant les termes techniques propres à l'univers de la batellerie qu'elle a rassemblés dans un glossaire imposant et complet qui clôt l'ouvrage et qui souligne encore la singularité de la profession. Ce souci méticuleux, presque ethnologique, donne un poids réel à ce livre qui, au-delà de ceux et celles qui ont fait du fleuve leur vie, séduira les curieux et les amateurs d'histoire des métiers.