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Critiques de livres


William CLIFF
Fête nationale
Gallimard
1992
103 p.

Cliff for ever

Au jeu des vers anonymes, rares sont les poètes aujourd'hui qu'on recon­naît du premier coup. William Cliff est de ceux-là, qui n'a pas dû souffrir la domination d'un maître admiré, mais s'est fait tout seul, comme on dit, prenant son bien au gré des lectures et des déambulations, pour le couler dans sa voix propre. D'emblée trouvée. Inimitable. Dès Homo sum, le premier livre, Cliff est Cliff. Queneau, qui avait du flair, ne s'y est pas trompé : ce ton désenchanté, à l'ironie douce, ces provocations de mauvais garçon, cette audace dans le chant et le déchant, ce rythme de flâneur nonchalant et goguenard, cette efficacité de la langue de tous les jours qui rend au banal sa grâce, au trivial sa sourde beauté et sa force, pas de doute : ce William Cliff est un poète à part. A sur­veiller de près. D'autant plus qu'il recoud l'alexandrin et autres mètres classiques avec la dextérité et le sérieux d'une petite-main recousant une braguette sur le corps tout vif d'un jeune agité. Et ma foi, l'octosyllabe, le dizain, le vers de quatorze pieds même, ne semblent pas s'en plaindre. Au contraire, les voilà comme ragaillardis de l'intérieur, neufs et pimpants comme des œufs de Pâques au petit matin. C'est que Cliff a fourré là-dedans sa vie même, enfin, le plus chaud et le plus échevelé de ses jours. Et le revoici avec Fête nationale, fidèle à lui-même et pourtant tout neuf. Assagi ? Que non. Mûri plutôt. Et les poches pleines de surprises, et d'ouverture sur un ciel qui ba­lance en douceur entre quotidien et méta­physique. Ce n'est pas là peut-être qu'on l'attendait, c'est là qu'il nous rejoint par derrière, en posant sa main sur notre épaule mortelle dont la présence tout à coup nous redevient sensible. Inutile de se retourner : c'est lui. Il dit : Eh bien voilà, J'ai allumé ma lampe et j'ai souri au vieux métier d'étendre avec de l'encre des vers qui disent simplement l'envie d'écrire un peu les choses de la vie Sur ce, il nous entraîne à sa suite, d'une mer du Nord à l'autre, la même, mons­trueuse et fascinante, à travers la Belgique et la France profonde. Sur le rail ou à pied, histoire de se refaire l'œil et la voix, de « se ravaler l'âme » que les sombres hivers embrouillardés et pluvieux ont par trop enlisés. Histoire aussi d'échapper à la tristesse du plâtre qui s'effrite, à la méditation des ciels trop bas. Car

La mort qui me suit pas à pas dans tout ce que je mange et bois la mort se fait de plus en plus pressante.

Et comment s'en distraire puisqu'elle travaille au-dedans de nous comme un cancer ? Et quoi faire encore quand il n'y a plus rien à faire, sinon s'enivrer d'air, de ciel, de pas­santes beautés, et persister à regarder tous les matins le soleil crever la peau bistre de la nuit qui ourdit ma fin

Quand on a dit ça, on n'a rien dit hélas de ce livre, un des plus beaux poèmes de Cliff, as­surément son chant de la maturité plénière. Ici, sous l'âpre nostalgie et la déréliction, percent la tendresse et l'humour qui allègent le cours du temps. Un excellent viatique pour traverser ce siècle délétère. De quoi vous rendre à coup sûr le simple « bonheur d'être en vie ». Sans vous bercer d'illusions.

Guy GOFFETTE