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Critiques de livres


GUDULE
Géronima Hopkins attend le Père Noël
2001
Albin Michel
186 p.

Le Père Noël bande dur !

Gudule est une écrivaine à l'imagina­tion tordue. Aux fantasmes bi­zarres. A l'humour noir. Comme Nadine Monfils, rien ne lui fait peur, ne la retient d'inventer les pires horreurs. Même une extase sexuelle entre une romancière sexagénaire à l'eau de rosé et le Père Noël. Mais il n'y a pas que ça. Le Père Noël, elle l'a tué, la vieille, après le septième ciel at­teint. Et de se demander ensuite : qu'est-ce qui a jailli le premier, le sang ou le sperme ? A moins que l'éjaculation n'ait pas eu lieu. En tout cas, elle est sûre d'avoir joui, elle, et pas qu'un peu. Et que le Père Noël est un bon coup ! D'ailleurs il en a pris trois dans le bide — trois coups de feu, va-sans-dire. Il faut préciser qu'il ne fallait pas qu'elle le rate, le vieux gredin. Cinquante ans qu'elle l'attendait. Rien que ça. Depuis qu'elle avait eu douze ans trois quart. En descen­dant de la cheminée, il s'était couché sur elle, l'avait embrassée. Voire un peu plus, mais pas jusqu'au bout. Elle avait aimé. Elle attendait la suite. Elle le lui a écrit souvent. Dans des lettres de plus en plus enflam­mées, au point de s'en monter la tête et de croire qu'il a été son seul amour. Lui n'a ja­mais répondu, n'est plus jamais redescendu la voir, à aucun Noël. Fini, les cadeaux dans la cheminée, la distribution était devenue l'œuvre des parents. Le lecteur comprend évidemment certaines choses, établit des liens et s'interroge : ne serait-ce pas le père de la narratrice qui, en ce Minuit chrétien de 1949, a... ? Géronima semble ne pas se poser cette question (ou ne pas vouloir). Car elle a remarqué que les deux hommes possédaient quelques points communs : des mains identiques et une même manière de l'appeler « fifille ». Mais alors, qui a-t-elle tué, cinquante ans plus tard ? Là, intervient la deuxième intrigue du livre. La rencontre de l'écrivaine bcbg avec une de ses lectrices, une crado enceinte et son copain, Nono qui de temps en temps lui fout des beignes. Nono comme Noël ? Non, comme Bruno. N'empêche qu'il est baraqué comme l'hom­me en habit rouge et barbe blanche et qu'il se ferait bien l'argent de la vieille... Peut-être qu'en passant par la cheminée, un soir de réveillon...

Oui, on rit et grince des dents en lisant le portrait de Géronima Hopkins qu'a brossé, à grands traits Gudule. Qui, avec espiègle­rie, s'est amusée à retourner, détourner tout ce qu'on a dans la tête quand on pense à des auteur(e)s comme Barbara Cartland. Elle a remplacé les bons sentiments par un cy­nisme dévastateur. Le livre est d'ailleurs écrit à contre-courant, à rebrousse-poil, tout en verve, en langage familier et non en langue aseptisée comme dans la collection Harlequin. De plus, en choisissant pour hé­roïne une romancière, même de pacotilles, Gudule réfléchit (peut-être de manière un peu superficielle) sur la création littéraire et l'identification du lecteur, de la lectrice. Et si la vocation peut naître comme c'est le cas ici, à force d'écrire des lettres au Père Noël (d'accord c'étaient des lettres d'amour fou, d'amour plus fort que tout, des lettres comme les joujoux, par milliers), on peut être rassuré, la littérature est loin d'éteindre ses derniers feux.

Michel Zumkir