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Critiques de livres


Agathe Gosse
Elle avait des oiseaux dans la tête
Éd. Luce Wilquin
Avin
2005
140 p.

Réunion pour une famille éclatée
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 141

Dans un petit appartement parisien, Sam, 10 ans, retrouve régulièrement Lucien, son grand-père, vieux et malade. Entre eux, il y a Lucie, dont la vie semble n'être qu'une longue crise et qui accepte difficilement cette complicité entre son fils et son père. Mais l'enfant a l'énergie de sa curiosité et il interroge son grand-père sur la famille, à commencer par la personnalité de Graziella, sa défunte épouse. Elle-même était fille d'un cafre venu de l'île de la Réunion qui l'avait abandonnée, enfant, pour repartir dans son île sans plus jamais donner signe de vie.

Le grand-père, coincé entre ses propres maladresses et lâchetés, entre son amour pour Graziella – toujours présent, même s'il ne l'a jamais vraiment exprimé – et sa méconnaissance des faits, mais pressé par les questions de Sam, va enfin trouver les mots et raconter un passé qu'il invente pour l'enfant, avec sa connivence – imaginer ce n'est pas mentir… D'une rencontre à l'autre, Lucien, en racontant, va retrouver un équilibre et une sérénité; Lucie, gagnée par les mots, va se réconcilier avec son père. Et dans cette généalogie mythique et exotique, Sam va trouver une structure pour grandir, au-delà de la mort de son grand-père. Tout ce qu'il sait de Léonard, son arrière-grand-père, relève de la fable, mais l'île de la Réunion existe bien; l'histoire que Lucien a imaginée correspond à son passé colonial, esclavagiste, aux révoltes, à la pauvreté, à l'isolement et aux rêves d'exil. Pour Sam, il faudra, un jour ou l'autre, aller là-bas vérifier que la réalité a gardé des traces de cette fiction…

En croisant les problèmes de famille avec ceux des rencontres entre les générations, les problèmes de l'immigration et de l'exil avec ceux du métissage et de la nostalgie, Agathe Gosse dispose beaucoup d'ingrédients dans ce court roman. Un peu trop, d'ailleurs, car elle n'en maîtrise pas toujours le dosage et, en plus, elle s'égare parfois dans des voies latérales (le détail de la crise d'adolescence de Lucie ou l'histoire d'une révolte d'esclaves au XVIIIe siècle…); cela donne un rythme irrégulier à un texte souvent trop descriptif ou trop explicatif qui laisse peu de place au lecteur. Si, dans l'ensemble, ce récit d'initiation à la vie reste touchant, l'émotion s'y empâte néanmoins dans les lourdeurs de style, l'artifice de certaines circonstances ou s'y désagrège dans des moments trop idylliques – comme lorsqu'elle évoque la vie des descendants d'esclaves de la Réunion.

Derrière ce désordre de style, Agathe Gosse montre ici, comme dans son premier roman, qu'elle possède une sensibilité et une sympathie particulière pour les enfants et les problèmes qu'ils rencontrent dans un monde d'adultes. De la résolution du conflit familial au récit d'aventures, elle aborde dans un même livre un registre trop large, mais peut-être devrait-elle resserrer son propos et envisager d'écrire à destination de la jeunesse en qui elle trouverait un public magnanine pour sa forme et en affinité sur le fond.