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Critiques de livres


Françoise HOUDART
La petite fille aux Walalas
Avins
Luce Wilquin
coll. Luciole
2005
164 p.

Les grands-mères et la mémoire

Un petit volume charmant, tout en couleur et en légèreté, La pe­tite fille aux Walalas, un gros livre grave et sérieux, fiction historique ou pan d'histoire avec un peu d'inven­tion, Tu signais Ernst K. Deux livraisons quasi simultanées de Françoise Houdart, deux aspects très différents mais complémentaires de son talent. Le pre­mier, le petit, le jeune, serait-on tenté de dire, parce qu'il a tendance à repro­duire le langage ou le monologue inté­rieur de la petite fille dont il est ques­tion, a l'air tout simple à première vue. Une fillette, en effet, vit chez sa grand-mère et ne voit ses parents qu'une fois la semaine, pour des raisons que l'on comprendra progressivement. C'est à la fois merveilleux — comme toujours les grands-mères dans les histoires — et frus­trant - comme toujours quand les mères sont embarrassées d'un grand amour. Mais cette enfant, difficile, selon une certaine terminologie, diffé­rente et donc intéressante selon un autre point de vue, va se passionner pour « l'idée de musique » et, surtout, s'éprendre de la personne, Mademoi­selle, qui lui révèle les secrets des notes puis l'initie au piano. Quant aux Walalas, on aura deviné, sous ce travestisse­ment teinté de réminiscences diverses et, entre autres, musicales, qu'il s'agit d'un nom inventé in petto, pour dési­gner ces petits démons intérieurs qui vous accompagnent et ne vous laissent aucun répit quand vous jouez seule sous la table de la salle à manger. Moins ac­crocheurs que les souvenirs de Gide avec le petit Mouton, bien réel, lui, sous la table, ces lutins endiablés peuvent tout de même agacer, surtout quand ils se chamaillent, reflet des débats qui tourmentent l'enfant et du désarroi qui parfois la submerge.


Françoise HOUDART
Tu signais Ernst K.
Avins
Luce Wilquin
coll. Luciole
2005
452 p.

La trouvaille, dans ce récit, est de confondre les voix et donc les histoires, car on est toujours la petite-fille d'une grand-mère, réelle ou fantasmée.
Curieusement, en dépit de différences fondamentales, le grand, le gros roman reproduit au moins cette particularité du lien qui unit ces femmes, parentes ou non, de génération en génération. C'est d'une délicieuse Laura, aujourd'hui bien vieille, mais à la mémoire fidèle, que la narratrice recueille les premiers éléments de son récit et d'elle encore qu'elle tient l'inestimable qualité de ton du vécu. Ce témoignage direct, en effet, va lui per­mettre d'évoquer de manière vivante ce mystérieux Ernst, un jeune soldat en­nemi de dix-neuf ans qui arrive inopiné­ment avec un bulletin de réquisition dans la maison d'une famille du Borinage, en 1917. On peut deviner ce qui s'ensuit. Les rapports à peine esquissés entre les « occupés » et cet Allemand sont pourtant beaucoup plus subtils et acci­dentés que ceux que Vercors a si bien dé­crits dans Le silence de la mer. Le récit s'enrichit ici de tout un environnement social et de considérations polémologiques qui s'inspirent d'une documenta­tion hélas toujours plus abondante au fil du temps. Les soubresauts psycholo­giques aussi, éléments romanesques sans doute, accréditent davantage encore la relation de ce morceau d'histoire où celle qui en recueille les souvenirs se donne pour mission de lire entre les lignes et d'inventer dans les blancs. J'évoquais les points communs entre ce roman quasi documentaire et la douce fantaisie de musique aux Walalas. Il en est un qu'il faut souligner, tant il se montre agissant, insistant et efficace dans Tu signais Ernst K., c'est l'art d'en­tremêler les relais narratifs : à chacun des personnages, des témoins ou des hé­ritiers revient le rôle de raconter et de détenir ainsi une clé de variation du récit. Que le héros de cette histoire soit peut-être l'Allemand, l'ennemi en prin­cipe, appelle certes un commentaire. S'agit-il pour Françoise Houdart de corriger certains épisodes de l'histoire locale qu'elle semble très bien connaî­tre, pour s'être documentée selon des méthodes d'enquête et de critique éprouvées ? Il me paraît plus à propos d'avancer qu'avec un parti pris avoué et de bon aloi, elle renouerait plutôt avec une tradition prolétarienne et pacifiste, de sa région, de son pays, d'une famille littéraire engagée, à laquelle, manifeste­ment, elle appartient. Certaines réfé­rences, certains accents ne trompent pas, ce livre tout entier témoigne d'une tension qui ne se relâche à aucun mo­ment, qu'il s'agisse de rapporter le vrai ou ce qui ne l'est pas. Françoise Hou­dart maîtrise en tout cas la vérité roma­nesque, même lorsqu'elle franchit les frontières de la fiction pour aborder la marge, là où se tient peut-être le réel.

Jeannine Paque