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Critiques de livres


Alain DANTINNE
Hygiène de l'intestin
Labor
2004
119 p.

Un pastiche ambigu

Alain Dantinne est un professeur de français qui aime la littérature et qui écrit volontiers : en 1985, il avait publié chez André De Rache un recueil de poèmes préfacé par Jean-Claude Pirotte. Agacé par un de ses élèves qui lui rebattait les oreilles avec « son » Amélie Nothomb, il s'est pris aujourd'hui au jeu du pastiche : ainsi est né Hygiène de l'intestin. Le rabat de la couverture définit ce livre comme « un divertissement parodiant, dans la lignée des Queneau ou Perec, l'œuvre d'Amélie Nothomb ». Cette double référence peut surprendre : le genre appelle plutôt les noms de Reboux et Millier, de Rambaud, voire de Proust. Mais elle se comprend à la lecture : Hygiène de l'intestin est un exercice de style qui mêle le collage (on y trouve des extraits de romans d'Amélie Nothomb), le pastiche (imitation gentille), la charge (imi­tation méchante), la forgerie (imitation sé­rieuse), la parodie (déformation de textes existants) et les jeux oulipiens. Le style d'Amélie Nothomb n'est pas du tout caricaturé : on en retrouve juste quelques traits frappants, comme les longs dialogues, les citations et les subjonctifs imparfaits, mais ils ne prennent pas une allure démesurée. Et le récit, à certains moments, devient sérieux, Dantinne s'étant probablement attaché à ses personnages ou au décor qui les voit évoluer. Comme dans la plupart des romans d'Amé­lie Nothomb, il s'agit de deux femmes qui s'affrontent. Fabienne, la narratrice, veut régler des comptes (ayant trait à l'enfance et à l'adolescence) avec Mély, une écrivaine à succès. On reconnaît bien entendu Amélie Nothomb en Mély (elle porte des chapeaux spectaculaires, mange des fruits pourris...), mais la narratrice, ne serait-ce que par sa position, rappelle également l'auteur de Stupeur et tremblements : cette fausse dualité renvoyant à une seule personne est d'ail­leurs sans doute une caractéristique des vrais romans d'Amélie Nothomb. Toujours est-il que Fabienne pose des jugements très sévères sur l'œuvre de son amie-ennemie : il est question de « livre pipi-caca », de « cho­régraphie sans musique », de « batterie de citations d'écrivains cathos », « le tout assai­sonné de lieux communs pris dans l'ABC du bac de philosophie »... « La littérature, c'est tout autre chose », dit-elle encore. Si Hygiène de l'intestin se clôt sur un « cahier des charges » donnant au lecteur toutes les clés intertextuelles nécessaires, l'histoire ne dit pas quelle a été la réaction de l'élève qui a l'habitude de porter Amélie aux nues....

Laurent Demoulin