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Critiques de livres


Pierre GUYAUT-GENON
Image arrêtée
Ed. Luce Wilquin
Avin
2004
247 p.

Le cercle des quadras

II y a Roland, le juif sépharade venu de Fès qui anime une radio ; Didier, le Belge qui s'est arrêté là et gère le club de tennis ; Andrés, le maître d'hôtel homo­sexuel, venu du Portugal et puis Boris, le narrateur, descendant d'émigrés russes et éditeur, passionné par la filmographie de Philippe Noiret. Là, c'est à Cadillac, dans la proche banlieue de Bordeaux, que ces quatre hommes, tous quadragénaires et de fortunes diverses, cultivent l'amitié à travers les parties de tennis, les repas, les rigolades et les discussions qui se prolongent dans la nuit. Roland sniffe un peu et a ses copines, tout va bien entre Didier et sa femme, An­drés a la démarche chaloupée et le verbe charmeur, Boris a deux fils : Raphaël, co­médien, toujours d'humeur égale et proche de son père, et Gabriel, futur gynécologue un peu à l'étroit dans ses valeurs morales, prenant plutôt le parti de sa mère. De feue sa mère. Car le roman s'ouvre sur l'enterre­ment de Brigitte, l'épouse légitime mais acariâtre de Boris, décédée... accidentelle­ment.

Ainsi donc Boris se retrouve-t-il veuf, seul dans ce manoir anglo-normand atypique au bord de la Garonne. Ce n'est pas qu'il soit inconsolable mais son veuvage l'oblige à quelque réserve, tandis que la liberté de cette nouvelle solitude lui fait bien voir ce qu'il a raté ou mal vécu ces dernières années. Le sexe ne lui a pas vraiment manqué mais, sans ses amitiés, il serait décomposé tant il est en mal d'affection. Pire, il a maintenant la contrainte sociale de jouer les éplorés... Au bilan, il n'y a donc pas de quoi espérer des lendemains radieux. Coincé entre discrétion et désir, Boris finira par pousser la porte d'une maison close où il trouvera, outre un inspecteur de police judiciaire, un usage de son corps qu'il avait oublié. De visite en visite chez Mme Rosalie, il entreverra d'abord puis apprendra à connaître Corinne dont il devient amou­reux mais dont le protecteur se révèle bru­tal. Rédemption pour lui, pour elle ou pour les deux ? Boris ne sait que faire ni com­ment s'y prendre mais Corinne est devenue cette image arrêtée qui s'imprime sur ses paupières dès qu'il ferme les yeux. Un veuf peut-il vivre avec une jeune femme tirée des griffes de la prostitution ? Les amis seront là pour aider mais ce ne sera pas sans gra­buge...

Pierre Guyaut-Genon aurait pu faire plus court ; il n'hésite pas à décrire les person­nages et les scènes en détail, voire à rappeler au lecteur ce qui aurait pu lui échapper, il adopte un ton léger, badin parfois, et multi­plie les bons mots qui, même s'ils ne sont pas de première main, donnent un agréable tonus à son récit. Un divertissement qui prend le lecteur au piège de l'intrigant décès initial et l'amène dans une suite de ren­contres et d'échanges verbaux entre ces quatre quadragénaires qui, au-delà des bons mots et de la franche amitié, laissent percoler des remarques sur la justice, la morale, la fra­gilité humaine et le besoin d'affection. Tout le portrait d'une époque, en somme, avec ses demandes difficiles et ses attentes repoussées.

 

 Jack Keguenne