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Critiques de livres


Liliane SCHRAUWEN
Instants de femmes
Luce Wilquin
1997
160 p.

Douce-amère

Instantanés secrets, images pudiques et intimes qui se (dé)livrent en petites phrases douce-amères, les Instants de femmes de Liliane Schraûwen sont autant de photographies intérieures de notre époque. Naissances, morts ; entre les deux extrêmes, tant de souffrances, de fragilités, de situa­tions impossibles, de déchirures... Les frag­ments de bonheur ne font vraiment pas le poids dans cet univers-là. Les petites filles qui dansent dans le matin ne savent pas ce qui les attend, heureusement. Regardez autour de vous, dans le train, au su­permarché, à l'entrée des écoles, regardez ces silhouettes de jeunes filles, de femmes, scru­tez leurs visages... Eclairez leur histoire sans projecteur aveuglant, voici des images tout droit sorties de la réalité : la femme cassée sans rêve ni avenir voudrait être n'importe quoi, un homme, une femme, un enfant, une bête... tout, mais pas elle. La jeune femme blonde affolée cherche trop tard sur la plage un petit garçon d'une infinie tristesse (il s'est enfoncé dans la mer, dans la mort pour ou­blier ce que son papa dit de sa maman). Bientôt, elle ne subira plus les coups de son mari, la femme usée, emportée par un océan de douceur dans ses paumes ouvertes. Tandis qu'à côté de la liesse des voisins, de tous, le soir de Noël, Marie est seule, dans le noir, les mains vides, crucifiée.

Couverts encore du sang de notre mère, nous sommes tous entrés, tout vifs et sans rémission, dans l'univers de la mort. Marie-Ange, la pe­tite fille chérie précipite sa mère par la fe­nêtre et son père en prison, une amazone noire meurt en pleine jouissance dans l'antre d'un amateur de serpents. Et une jeune femme blonde se glisse pour toujours dans l'infini d'un paysage vide, les yeux clos, lorsque son voyage, à l'orée de l'été qui la prive de ses enfants, s'achève définitivement dans le champ de blé qui borde l'autoroute. Tout vifs et sans rémission. On donne la mort avec la vie, ne croyez pas aux histoires d'Epinal. Seul intermède positif, la ren­contre d'Alexis le sculpteur et de Violette l'adolescente donne naissance à une Jeune fille de bronze dans un parc, c'est tout et c'est beaucoup. L'écriture est là, elle aussi, mais elle ne vaut rien à côté d'une mater­nité, de cette puissance du feu que donne la vie qui germe en vous. Bonheur fragile car les liens du sang ne sont pas toujours assez forts pour résister aux mots, aux mots de l'homme, surtout aux mots du père : tant de femmes s'enfoncent à cause d'eux dans l'absence grise qui mène à la mort. Tant de femmes pensent qu'il n'y a rien que l'enfer de leur vie. C'est cet univers de sensations, de détresses féminines que nous propose Li­liane Schraûwen, un chemin de grisaille à peine éclairé par quelques fugitives étreintes ou quelques instants de bonheur, au gré d'une écriture sensible où les moments de haine ne sont pas les moins heureux.

Nicole Widart