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Critiques de livres

Jean Jauniaux
Le Pavillon des douanes
nouvelles
Éd. Luce Wilquin
2006
172 pages

Nouvelles dunes
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 142

Voici un recueil traduit en roumain avant la publication de sa version originale en français! Cela, c'est le fruit de la magie des revues littéraires qui permettent aux nouvellistes d'être lus bien avant que leurs écrits prennent forme de livre. Et pourtant, Jean Jauniaux a planté sa plume sur la côte belge d'où il nous donne une série de variations aux tonalités familières.

Tout d'abord, avec le premier texte, qui donne son titre au recueil, il nous narre le destin tout surréaliste d'un douanier retraité gagné par la nostalgie du temps où il inspectait les paniers et les malles des voitures franchissant la frontière française à quelques pas des dunes. Avec la complicité de son petit-fils, le vieil homme qui réside dans une maison de retraite reprend possession des lieux abandonnés dont il a conservé les clés. Et les véhicules ralentissent dans l'attente d'un signe de tête de cet homme en uniforme désuet alors que les émissions de radios ne parlent que du referendum français sur le projet de constitution européenne. Mais le sable de la côte recèle d'autres mystères plus lointains. Ainsi apprenons-nous que Cervantes a séjourné dans l'abbaye de Saint-Idesbald tout près de l'île où vivait Shakespeare auquel il rêvait de soumettre un projet de pièce de théâtre. D'autres récits nous entraînent à l'intérieur des terres vers Bruges ou Woluwé, et font même un saut Outre-Quiévrain. Ils nous parlent de la vie, des peurs et des passions humaines ou encore nous raccrochent à l'actualité de drames récents qui pèsent lourd dans la mémoire collective. Un amoureux attend une belle et vient une mouette tandis qu'une vieille clocharde trouve refuge dans le café où il est attablé. Un sans-emploi affiche une petite annonce proposant aux propriétaires de chiens de promener leur animal et trouve un exutoire inattendu à sa haine des canidés. Un homme privé de la vision des couleurs ouvre les yeux après une opération et déjà regrette la perte irréversible des toutes les nuances de gris. À moins que vous ne teniez vraiment à savoir ce que le Roi Albert murmura à l'oreille de Justine Hénin à deux pas du podium de Roland-Garros… Plus graves, d'autres textes se glissent dans les tourments de la guerre d'Irak, dans l'émotion forte qui a suivi le tsunami. S'y immiscent des détails singuliers qui forcent à revisiter l'événement par le décalage du cocasse lorsque George Bush est défié dans un combat de sumo et neutralisé par un obèse ministre des Affaires étrangères ou que l'on nous dévoile le destin méconnu d'Hugo Victor. Dans ce tour des genres, il fallait une place pour le récit d'anticipation. Un saut nous porte en 2099, dans les tourments d'un temps où sévit une Académie qui interdit l'usage de mots choisis pour mieux régir le cours dispersé de la pensée, forçant les résistants à en entretenir la mémoire.

Ce recueil qui décline la palette des couleurs du conteur ressemble bien à un échauffement littéraire. Force est de constater que l'exercice est concluant. Un charme certain s'en dégage, fort d'un trait qui fait mouche, portant à espérer un nouvel écho de Bucarest.