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Critiques de livres


Laurent de GRAEVE
Je suis un assassin
Ed. du Rocher
2002
170 p.

Le chant de l'exil

Disparu   l'été   2001,   Laurent   de Graeve n'a pas eu le temps d'ache­ver son quatrième et dernier ro­man, au titre incisif et provocant : Je suis un assassin.

Pascale Gautier, des Editions du Rocher, à qui le livre est dédié, et Jacqueline Harpman, qui en signe la postface émue et fer­vente, l'ont relu et nous le livrent dans son état original, aux indispensables corrections de détails près. Tel, en somme, que nous voulions le lire.

Un roman policier ? Si l'on veut. Dans une ville désespérément morne et assoupie (Même les pigeons finissaient par se suicider à Bruxelles), l'inspecteur William de Leeuw enquête sur les crimes d'un tueur en série d'une fascinante habileté, d'un implacable raffinement, dont les victimes sont, à chaque fois, un homme jeune et beau, aux yeux clairs, qui ressemble à William, et que souvent il connaissait.

N'est-ce pas lui que la mort guette dans l'ombre, et aura-t-il la force, la volonté de lui résister ? Ne sont-ils pas liés par une obscure et poignante complicité ? La mort et moi partageons, semble-t-il la même pas­sion des jeunes hommes. Nous ne sommes ja­mais rassasiés.


Laurent de GRAEVE
Grégoire et le téléphone portable
Le Grand Miroir
2001
46 p.

La mort, qui rôde et s'infiltre dans la vie de William, est le grand personnage du livre. Avec l'amour, éternel absent, qu'on pour­suit de visage en visage, de corps en corps, qu'on croit enfin trouver, ébloui, chaviré, comblé, et, pourtant, qu'on saccage... Car la volupté et la souffrance, l'adoration et la destruction saisissent en un même vertige ceux qui n'ont pas peur de leurs propres abîmes. Et qui seuls perçoivent, montant comme une plainte sourde des profondeurs de la nuit, le chant des monstres tapis parmi nous, condamnés à se taire ou à mentir. C'est le chant des monstres, des infâmes et des méchants. C'est le chant de l'exil, de la solitude et du déchirement. Les monstres chantent ; et la nuit soupire ; le monde se tait ; et le ciel se vide.

Nous nous souviendrons de ce chant. D'une autre vie, à la fois plus sauvage et plus sophis­tiquée, qui s'insinue dans les failles du monde et hante ce livre-ci comme les précé­dents. Mais aussi d'une page admirable sur la fin pressentie d'une amitié, où l'intelli­gence du regard, l'acuité de la sensibilité, la pureté du style portent la marque d'un véri­table écrivain.

Et nous prendrons un plaisir mélancolique à retrouver encore Laurent de Graeve dans Grégoire et le téléphone portable, une pla­quette éditée par Le Grand Miroir, qui a « oublié » de préciser qu'il s'agit d'une nouvelle parue en 1997 dans le recueil collectif Traversées réunissant, à l'enseigne des édi­tions Les Eperonniers et L'Instant même, les textes des lauréats d'un concours de nouvelles belgo-québécois. Le ton se fait ici léger, narquois et doux-amer pour croquer le portrait d'un jeune célibataire pimpant invité à déjeuner dans un restaurant prestigieux par son père, selon un rituel qui se reproduit tous les trois mois. Sans que jamais ait lieu cette conver­sation d'homme à homme que Grégoire se promet à chaque fois. Aujourd'hui, il est ré­solu à parler du garçon qu'il aime, Nicolas. Mais, assis en face de l'imposant, autoritaire Monsieur de G., le jeune cadre diplômé en économie perd tout son courage, son assu­rance et jusqu'à sa voix qui redevient celle, fluette, et trop haute, du petit garçon d'au­trefois, si anxieux de n'être pas à la hau­teur... Monsieur de G. repart le premier. Cette fois, Grégoire a laissé passer l'occa­sion de l'aveu qui le brûle. A moins que son téléphone portable ne lui offre un recours ? On sourit. Amusé, attendri. Même si l'on sait qu'il n'est pas si simple de franchir les déserts d'eau qui séparent quelquefois père et fils. Et si ce joli intermède nous inspire surtout le désir de revenir à l'essentiel : les romans éclatants et ténébreux, élégants et subversifs, d'un écrivain racé nommé Lau­rent de Graeve.

Francine Ghysen