Le chômage en gris et rose
Plutôt qu'un roman à épisodes, une mosaïque de petits tableaux croqués sur le vif qui, ensemble, racontent la spirale du chômage. Au centre, Gabriel Mirka, qui, ses études de musicologie achevées, cherche du travail depuis bientôt deux ans, n'importe quel travail, pour rassurer ses parents chez qui il vit et sa fiancée, Béatrice, qui, une licence en mathématiques toute fraîche dans la poche, vend son tailleur bleu ciel et son sourire en quatre langues à une agence d'hôtesses intérimaires. Chaque samedi, Gabriel s'applique donc à lire les pages d'offres d'emploi du journal, sous l'œil vigilant de sa mère qui ne se doute pas qu'un beau jour, découragé par des centaines de lettres de candidature inutiles, il improvise un courrier joyeusement subversif, tournant en dérision les annonceurs et renversant ainsi les rôles : c'est « l'humilié » qui assaille, « l'exclu » qui jubile, invente un espace de liberté, de fantaisie vengeresse, d'impertinence salvatrice... Autour de lui, nous croisons des frères en disgrâce sociale. Tel Monsieur Dutilleul, sans emploi depuis neuf ans, qui découvre avec effarement qu'aux yeux du monde, il n'existe plus : la voiture qui le renverse poursuit sa course sans la plus furtive embardée, et lui-même se relève indemne, sous des regards qui le traversent comme s'il était devenu transparent. Tel Constant Algoet, depuis vingt-six ans ouvrier chez R..., à Vilvorde, qui vient d'acheter une Mégane Berline (en trente-six mensualités) quand tombe la nouvelle de la fermeture de l'usine. Lui, grâce à son ancienneté, s'en tire à bon compte, mais il se tourmente pour son fils qui n'a jamais eu chez R... que des contrats temporaires (reconductibles ad vitam aeternam — si c'est ça le progrès...) et, de son côté, se tracasse pour son père. Jusqu'à ce que tous deux, à l'unisson, éclatent de rire.
Nous rencontrons aussi Miet S., ministre du Chômage (!), qui désespérait de faire écouter sa voix avant un conseil des ministres décisif. L'opinion réclamait de l'imagination, la presse stigmatisait le manque de perspectives, l'opposition s'en mêlait et personne, absolument personne parmi les ministres ne trouvait d'idée neuve. C'est alors que Miet leva timidement le doigt. Tous les regards se tournèrent vers elle. D'une voix posée, elle put enfin placer son idée sur les petits boulots, et le pays fut sauvé. Journal du chômeur a été rédigé par deux jeunes auteurs, Pierre Lorquet et Luc Malghem, respectivement metteur en scène et licencié en journalisme, qui, entre divers métiers et « activités non rentables », ont tâté du chômage.
Ils ont trouvé le ton juste, simple et direct, jamais larmoyant ou misérabiliste mais au contraire tonique et plein d'humour, pour cette chronique souvent drôle, quelquefois grinçante, toujours entraînante, qui ne cache pas le noyau amer de la réalité mais dédramatise la condition de demandeur d'emploi et garde les fenêtres ouvertes sur le ciel. Dans quelle circulaire obtuse et confidentielle aurait-il été spécifié que toutes les histoires de chômeurs devaient mal finir ? Les brèves scènes qui la composent sont inégales, et pas toujours d'un goût parfait. Mais l'ensemble tient. Et retient.
Francine Ghysen
Pierre LORQUET et Luc MALGHEM, Journal du chômeur, Quorum, 1999, 181 p.