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Critiques de livres


Emmanuelle JOWA
Playgirl
Liège
Le Somnambule Equivoque
coll. Exaltations
2004
105 p.

Chasser, classer : anatomie d'un genre

Jusqu'il y a peu, spéculer sur l'autre sexe, le prendre comme matière à observation ou à classification était l'apanage des hommes. Signe des temps, depuis une ou deux décennies, les choses ont bien changé : nombre de femmes se sont mises à écrire sur l'homme en tant que partenaire sexuel, parfois dans des ouvrages d'analyse, le plus souvent dans des fictions, autofic­tions ou autobiographies plus ou moins « hard ». Le texte d'Emmanuelle Jowa, Playgirl, qui relève un peu de tous ces genres, en est une bonne illustration. La couverture du livre pourrait à elle seule en résumer le propos : on y voit en amorce un jeune homme assis, dont on n'aperçoit qu'une partie du dos nu ; face à lui, et le surplombant, quatre de­moiselles le toisent d'un air amusé ou conquérant, renversant ainsi le stéréo­type de l'homme qui mate les filles der­rière leur vitrine pour faire son marché du soir. C'est bien de choix, en effet, qu'il s'agit ici, lorsqu'elle prête à son personnage M — évoquant tout à la fois Histoire d'O et La vie sexuelle de Ca­therine M — cette formule : « Son credo : choisir plutôt qu'être choisie. » D'une certaine façon, tout le livre peut être lu comme la mise en œuvre de cette affirmation. Tantôt puisant dans sa propre expérience (même si, dans une curieuse « note de l'éditeur », on nous prévient que « l'auteur a naturellement créé tous les événements impliquant son personnage »), tantôt faisant appel aux livres et aux films d'autres femmes (de Christine Angot à Catherine Breillat, de Catherine Cusset à Virginie Despentes, pour n'en citer que quelques-unes), tantôt encore fantasmant sur les images de la télévision (en particulier les émissions politiques ou d'actualité), Emmanuelle Jowa, ou plutôt M, n'a de cesse d'y cher­cher les traits qui définissent son type d'homme, les caractères — physiques, mais pas seulement — susceptibles de le transformer en objet de désir.


Virginie VANOS
Le mâle moderne
Spa
Galopin
2004
150 p.

Revendiquant son « goût de la disper­sion », M préfère « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », « ne pas se poser, ne pas choisir surtout ». Ce refus du choix, où peut se lire aussi bien la marque d'un esprit libéré que la crainte de s'investir dans une relation durable, a pour effet que le partenaire recherché peut présenter des caractéris­tiques extrêmement variables. Une cer­titude au moins : tout ce qui est réper­torié « beau mec », les Brad Pitt et autres candidats au titre d'homme le plus sexy de la planète : direction le vestiaire ! Le terrain ainsi déblayé, il reste encore de la place pour pas mal de monde. D'autant que M ratisse plutôt large. Elle avoue un faible pour les « jeunes pousses sans histoire », les ado­lescents mal dégrossis mais qui assurent, tout autant que pour les gentils, même un peu mous, que leurs défauts phy­siques rendent attirants. Elle apprécie aussi bien la compagnie des rockers sur le retour, à la crinière huileuse et à la bedaine naissante, que celle des repré­sentants de l'ordre de tout poil (pourvu qu'il soit ras), sanglés dans leur uni­forme, l'oreille décollée et la fesse plate. Il lui arrive de flasher sur Nicolas Sarkozy (si !), Dominique Strauss-Kahn (dont elle rêve de recevoir... une tripo­tée), George W. Bush (malgré ou à cause de son « œil de loir buté et fa­rouche »), aussi bien que sur Bourvil, Benoît Poelvoorde ou Patrick Dils... On le sait, la préférence sexuelle n'a que faire des valeurs de la morale. Finale­ment, dans ces tentatives pour cerner l'objet du désir, on touche à l'essence même du fantasme, cette « fantaisie » où l'imagination se débride : ici, il s'agit de prendre des morceaux de corps d'hommes et de les faire jouer les uns avec les autres, un peu comme dans ces portraits-robots judiciaires où, sur un visage, on essaie telle chevelure, telle forme de lunettes, telle paire de mous­taches (non, pas les moustaches, M les a en horreur !). Une comparaison qui, au vu de ce qui précède, ne devrait pas trop déplaire à Emmanuelle Jowa.

Le mâle moderne. Encyclopédie pratique de Virginie Vanos, participe de la même volonté, mais cette fois sur un mode résolument ludique, de mettre l'homme en catégories. Là où le voca­bulaire masculin se résume souvent à de frustes dichotomies du genre « boudin » ou « canon », « pétasse » ou « godiche », l'auteur y pousse l'analyse jusqu'à réper­torier plusieurs dizaines de « types » : le mystique frappadingue, la folle de son corps, la caillera, le chômeur pro, le bonnet de nuit, l'internet addict, le fifils à sa môman, le margoulin, le psychana­lyste de bazar, et ainsi de suite... Cha­cun étant défini selon ses « origines », ses « vie et mœurs », ses « avantages » et ses « inconvénients », sa « sexualité », sa « fin probable » et enfin la « phrase-clé » qui le résume. Cela nous donne un ca­talogue qui tourne en dérision les typo­logies dont raffolent les magazines fémi­nins (et pas seulement féminins). La référence au genre encyclopédique étant de pure forme, on ne s'offusquera pas d'y relever quelques amalgames discu­tables (ainsi quand sont rangés sous l'étiquette « obsédé sexuel » à la fois le violeur et l'exhibitionniste : on est l'un ou l'autre, rarement les deux à la fois). Et comme dans toute entreprise systé­matique de ce genre, on jugera que l'humour est parfois forcé, mais l'on s'accordera pour dire que dans l'en­semble, l'auteur vise plutôt juste. Bref, amie lectrice, si tu trouves sur ton che­min un homme qui ne présente aucun des travers énumérés, surtout ne le laisse pas s'enfuir — installe-le à ta table et consomme-le avec modération.

Daniel Arnaut