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Critiques de livres


Bernard GHEUR
La bande originale
Quorum Editions
« Le point du jour »
Ottignies
1996
176 p.

Triste, pas vraiment

« — Tirez sur le pianiste... génial, non ?

—  Un peu bizarre quand même.

—  L'Amour à vingt ans ?

—  Connais pas... De toute façon, je
préfère les films engagés. »

Cette fille-là   ne  serait jamais   la femme de ma vie !

Le testament d'un cancre (salué par Renoir et préfacé, comme on ne manque jamais de le rappeler, par Truffaut), La scène du baiser, Retour à Calgary, Le lieutenant souriant... Les titres de Bernard Gheur ressemblent tous à des titres de films et possèdent cette tonalité douce-amère, sucrée-salée, qui sied parfaitement aux aventures qu'il raconte. Celui de son dernier roman, La bande originale, ne fait pas exception à la règle, renvoyant à la bande-son du film que le jeune héros, Charlie Boulanger, rêve de tourner, et au groupe de camarades cinéphiles, volontiers cabotins, qui gravitent autour de lui. (Tiens, tiens, le livre, dédié « à tous ceux du Cercle Cinémane », relate un épisode de lâcher d'oiseaux au beau milieu d'une salle obscure dont un autre Liégeois, Noël Godin, a déjà rapporté les échos dans Crème et châtiment !) C'est d'une histoire simple qu'il s'agit ici, travaillée avec la précision d'un scénario. Aménagée en vingt-huit petits chapitres res­serrés autour d'un seul événement, d'une émotion particulière, elle prend parfois l'allure d'une parabole moderne consacrée à l'adolescence. Un jeune homme ordinaire, Charlie Boulanger, voue ses temps libres à imaginer, avec son condisciple Henry S. Bordeaux, que leur premier film sera digne des meilleurs auteurs de la Nouvelle Vague (nous sommes en 1967). Il quitte le collège, entre à l'université, rencontre son premier amour en la personne d'une musicienne idéalement prénommée Béatrice, sans jamais s'écarter de son dessein cinématogra­phique. Il loge chez un professeur retraité obnubilé par la maîtresse de Pépjn de Herstal. Le vieil homme s'occupe en outre d'une petite fille, Sybille, qui apprendra à Charlie, bien des années plus tard, la mort de son copain Henry... Mais l'adolescence éternelle est au centre du roman, et toujours se teinte, jusque dans l'exaltation, d'une profonde mélancolie. Car à l'âge où tout paraît pos­sible, les premières lâchetés, les premiers refus, les premiers signes de paresse tracent des chemins ineffaçables. Le temps des secrets est peut-être bien l'emblème, pour Bernard Gheur, de la solitude qui définit chaque être humain, préside à ses relations avec autrui, à ses fantasmes de partage. Phrases courtes, justesse des dialogues, absence d'afféterie, La bande originale s'est-elle donné pour ambition de prouver que l'élégance est née de la retenue ? Les person­nages du roman sont le contraire de bruyants désespérés. Leurs blessures fonda­trices se dessinent en discrètes lézardes sur le mur de la vie, si discrètes, si savamment dis­posées qu'elles semblent se refuser pour tou­jours à quelque entreprise de restauration.

Françoise Delmez