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Critiques de livres


Benoît Labaye
Australie
Avin
Luce Wilquin
2005
195 p.

Voyages immobiles
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 140

Benoît Labaye s'est fait connaître il y a quelques mois par un récit bref d'une rare densité, Vous ne dites rien. Il nous revient déjà, sur un autre registre, avec un roman plus épais qu'il a en fait écrit en premier lieu et qui feint de nous emmener à l'autre bout du monde.

Un journaliste habitué des missions lointaines, Anton Braque, s'éveille en un lieu inconnu, seul dans une chambre d'un hôtel anonyme, en bordure de mer. Ne devait-il pas être dans un avion à destination de Sydney en compagnie d'Adrienne? Pourquoi lui est-il impossible de nouer tout contact avec l'extérieur et, surtout, d'obtenir réponse à ses questions auprès de la réception de l'établissement? Il n'aura pas beaucoup plus d'indices auprès des personnes qui hantent les autres chambres et qu'il retrouve le long des couloirs et dans les salons. Toutes semblent confrontées à la même confusion. Elles parlent évasivement d'autres qui ont quitté les lieux dans des circonstances obscures et dont on est sans nouvelles. Adrienne est du lot, qui lui a laissé un message laconique ponctué par un «A bientôt si tout va bien» sans autre précision.

Confinés dans ce lieu coupé du monde, les caractères ne tardent pas à se révéler dans tous leurs excès, nous offrant une galerie de portraits hauts en couleurs. Un représentant du COIB débordant de civilités, un jeune homme râleur et sa fiancée si fine et mystérieuse, que tout sépare déjà, un savant égaré spécialiste du lombric, une petite fille qui ânonne des comptines, un patron de compagnie aérienne à prix légers… Entre eux, rien d'autre de commun que leur réclusion. Toutes les conditions sont réunies pour un huis clos intense dans lequel chacun livre le meilleur et le pire dans une suite de joutes verbales, d'exclamations, de fuites, de mutismes.

Anton Braque n'échappe pas à cette succession de moments de sérénité et de révolte. Mais cet exil impromptu lui permet de revisiter les étapes de sa vie et surtout de dérouler le fil de sa relation avec Adrienne, qui vient de s'épanouir après un entracte de vingt ans. Le poursuivent aussi les images tenaces et fortes des missions effectuées au cœur des conflits armés au plus profond de la détresse humaine qui ne cessent de le hanter. Un sursaut salutaire met fin à cette danse entre passé et présent, poussé par l'envie soudaine de tenter le tout pour le tout et de pénétrer dans ce tunnel sombre dont on ne revient pas.

Roman initiatique, Australie joue à brouiller les repères. Il mène ses personnages au bout d'eux-mêmes, vers ce moment où le pied touche le fond de l'eau et lance le mouvement de retour à la surface. Ces temps de passage où l'on accouche soudainement de soi alors que rien ne le laissait présager. Benoît Labaye nous donne ici une nouvelle variation plus ample et ambitieuse sur l'immobilité – la sienne, les nôtres? – et son jeu subtil, imprévisible avec les forces de l'intime.