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Critiques de livres


Luc BABA
La cage aux cris
éditions Luce Wilquin
2001
140 p.

L'enfance dont on ne guérit pas

Je suis né comme une fleur sous un orage de juin, à dix heures, pendant que les ha­ricots sortaient tous ensemble au fond du jardin.

Un joli début acidulé, qui pique le cœur et la curiosité, pour le roman signé Luc Baba (le nom, lui aussi, fait sourire), La cage aux cris, qui a reçu sur manuscrit le prix Pages d'or 2001 et vient de paraître sous les cou­leurs de Luce Wilquin. Vivacité, fantaisie, légèreté : le charme joue. Et cette manière désinvolte, tendrement moqueuse, d'avouer les détresses, les pa­niques, l'âpre solitude de l'enfance, touche et retient.

Mais soutenir ce rythme enlevé, garder cette petite grâce dansante, enjouée, sur fond de cris silencieux, d'une soif éperdue d'amour et de consolation, est un pari dif­ficile, qui dépasse quelque peu les forces de Luc Baba.

La première partie, de loin la meilleure, est souvent prenante : on se laisse entraîner dans la fugue d'un garçon de douze ans qui ne supporte plus la vie dans la maison fami­liale sur les hauteurs de Liège, sous la coupe d'un père implacable, et qui, un jour, se jette dans les rues à corps perdu. Je cours de peur, sans voir le ciel, sans croire en rien, comme on cherche l'air au fond d'une piscine, en battant des bras.

Il découvre vite, seul dans une gare, au mi­lieu de la foule indifférente, que son désar­roi, son angoisse et sa colère passent inaper­çus. J'étais peut-être le début d'un héros, l'ébauche d'un naufrage, ou juste un enfant disparu, mais les gens lisaient les programmes de la télévision.(...) Ils avaient l'air tran­quille, bien rangés dans ce train, habitués à tout, habitués à vivre, et solides par cela, taillés dans la pierre des certitudes et libérés de leur condition d'enfant. Il rencontrera pourtant la bonté, la chaleur, dans les gestes ronds, maternels de Made­leine, dont la caravane sans roues, plantée au bout d'un parking, demeurera pour lui l'image même du refuge. On retrouve le petit garçon fugueur, qui était rentré après quelques jours dans la maison de son père (On fait semblant de re­venir, mais une fois qu'on part, seul, à douze ans, on ne revient jamais), fêtant seul ses vingt ans dans un studio sous les toits. Assis dans ses épluchures d'enfance. Enseignant au hasard des intérims, mais cherchant tou­jours, d'Edimbourg à Ostende, le point d'appui qui se dérobe (On se souvient, en bougeant au milieu de toutes les absences, que la nuit ne vaut pas plus qu'une ombre). Croi­sant l'amitié, l'amour ou plutôt son fan­tôme : une Marie qu'il quitte aussi simple­ment qu'il était venu poser ses bagage chez elle. Éternel adolescent, éternel convales­cent, avançant à cloche-pied sur un chemin cerné par le vide. Encore hanté par la voix de ce père qui ne m'avait jamais touché que de son souffle gris, et de l'une ou l'autre gifle. Se complaisant, avec une douceur navrée, à n'être personne. Et devenant transparent pour le lecteur qui commence à trouver le voyage fastidieux...

Reste ce ton juste, aigu, à vif, pour dire le déchirant trésor de confiance folle et de folle mélancolie de l'enfance. Les enfants, ils sont tristes, et ça continue jusqu'à vingt ans, à vous faire pleurer lorsqu'il faut rire, à mettre de la poussière sur les fêtes, des mélancolies in­terminables, mouillées, sur les sapins de Noël et les jardins de Pâques. On sanglote sur les cadeaux, sans que ça se voie. Rien dehors ! Les sentiments poussent à l'envers, en-dedans, avec des appels grands comme des arbres sans lumière qui s'en vont faner tout de suite on ne sait où. Si on savait, peut-être...

Francine Ghysen