Bol d'air
Tenter de m'atteler à la lecture dans la fournaise d'une ville du nord de l'Italie n'aura pas été le moindre de mes efforts de l'été. Aplati sur le lit d'une chambre d'ami par ce que les Italiens appellent « l'afa » (prononcer le « f » en se laissant choir sur le lit en question), et qui n'est rien d'autre que cette chaleur étourdissante, de laquelle les murs des immeubles du centre ville de Turin, malgré leur imposante épaisseur, ne protègent pas. Dehors pas un nuage, mais une humidité qui de tôt matin à minuit pénètre tout, jusqu'au matelas sur lequel je tente d'éviter des heures durant tout effort physique, croyant par là atténuer le jaillissement des sueurs. Peine perdue, l'écrasement est tel qu'un simple basculement du corps d'un côté vers l'autre provoque un ruissellement sans fin ; à transpirer de la sorte, j'ai l'impression d'être en partie responsable de l'élévation du taux d'humidité de ces derniers jours. De l'air, de l'air, j'ouvre portes et fenêtres, mais l'air, ici, ça ne se fabrique pas ! En dépit des sourires sardoniques que l'on ne manque pas de me jeter, je suis de ceux qui prétendent que là où les savantes combinaisons d'ouvertures échouent lamentablement, la littérature parfois aboutit. Ainsi de nombreuses pages de La lumière des polders d'Alain Bertrand propagent une brise légère en prose, brise assez forte tout de même pour balayer de son frou-frou, mélodieux comme le va-et-vient des vagues, les conditions météorologiques inhumaines de mon août italien. En six variations autour du pays plat, ce petit livre parvient à créer un temps et un espace favorables à sa propre dégustation : la chambre d'ami prend des allures de plaine ouverte, un microclimat s'installe, qui atomise une bruine bienfaisante sur le lit, et je me retrouve à califourchon sur un coussin bicyclette, à pédaler gentiment le long d'interminables routes rectilignes, paysage et ambiance garantis, dénomination d'origine contrôlée. Ainsi le lecteur apaisé que je suis se lance-t-il à la découverte de ces lieux magiques, accompagné par l'auteur et une poignée de personnages pour le moins pittoresques : un critique à crinière de lion, une jeune flandrienne aux jambes fuselées par la pratique assidue du vélo, une pharmacienne amoureuse et angoissée par un malencontreux échange de médicaments, tout un petit monde qui valse et se précipite sans hâte à ce qu'Alain Bertrand appelle, avec Gaston Compère, les noces de la terre, du ciel et du vent. Se noue avec chacune de ces créatures un dialogue portant sur la nature intime des polders, dialogue auquel une pratique assidue de la densité confère des accents poétiques. Aussi ne bouderai-je pas mon plaisir : ce petit livre précieux, réfléchi, soigné, j'en relis en ce moment les premiers chapitres, ouvert à cette légère brise en prose, à sa douce mélancolie qui dès les premières pages rafraîchit.
Pascal Leclercq