Michel LAMBERT
La maison de David
Editions du Rocher
2003
201 p.
Seuls en scène
A l'origine de la vocation artistique de Martial, le personnage central du nouveau roman de Michel Lambert, il y a David. Même s'il n'en est pas tout à fait conscient, Martial aimerait que sa vie et son travail reflètent les principes d'équilibre, de puissance et de limpidité qui font l'intérêt du peintre classique. Or, il n'en est rien. La vie de Martial n'est qu'un leurre comparable à la dernière maison de David à Bruxelles — une façade qui dissimule mal un endroit désaffecté — et plus encore au flou terne de La chambre à New York de Hopper qui illustre la couverture du livre. L'existence de Martial est soigneusement organisée autour de quelques relations régulières pour lesquelles il est toujours disponible. Mais sa générosité a quelque chose de mécanique qui lui vaudra un jour cette réplique cinglante : tu as le cœur sur la main, mais tu n'as pas de cœur. David n'est peut-être pas un modèle fécond pour Martial, il l'est en revanche pour Michel Lambert, qui maîtrise la composition très classique de son roman. Dans la vie de Martial, chacun a son jour. Dans le livre, chacun aura son chapitre : Odette, la maîtresse pour l'hygiène ; William, le vieil ami écrivain ; Max, le jeune détenu à qui il apprend le dessin et Serge, son propre frère, qui lutte contre la folie. Deux rencontres vont perturber cette régularité monotone : Danielle, une jeune paumée fauchée, et Iseult, une actrice qui vivote de petits boulots (notamment un atelier théâtral plus ou moins thérapeutique auquel participe Serge). A la faveur de quelques coïncidences, Michel Lambert explore ensuite toutes les interactions possibles entre ces personnages qui s'agglutinent autour de Martial et finissent par l'étouffer, incapable qu'il est de gérer ses relations autrement qu'en tête-à-tête. Ce qui compte ici, on l'aura compris, ce n'est pas tant le dispositif narratif que l'investigation psychologique, magistrale, qui repose sur un postulat : les pratiques artistiques et les pathologies sont les deux facettes d'une même volonté de manifester son rapport complexe au monde. L'aptitude à se représenter est le point commun de tous les personnages. Ils (se) jouent sur scène (Iseult), sur l'estrade (Martial à l'académie), ou dans la vie (Toulouse, l'ami mythomane de Daniel, Max qui se compose un personnage aseptisé ou « Belmondo », l'oncle optimiste que l'on réduit à l'acteur qu'il imite à merveille). Ils se projettent de façon consciente (William qui intègre son quotidien dans ses romans) ou incontrôlée (Serge dont les enthousiasmes virent à l'idée fixe ou à l'hystérie). Cette aptitude est aussi la meilleure garantie contre la tentation du suicide qui hante presque tous les personnages. A ce jeu, Martial est au départ le plus maladroit, mais il saura tirer parti des échecs anecdotiques ou dramatiques (et un peu trop systématiques peut-être) de ses amis pour se débarrasser du personnage d'homme pragmatique et rationnel qu'il s'est créé pour se protéger mais qui le prive de spontanéité et d'émotion et le rend surtout incapable de vivre au présent. Martial reconsidérera aussi son rapport à Serge et cessera de l'envisager exclusivement comme un assisté dont il est responsable. Iseult l'avait deviné avant lui : Ils sont de la même famille, pourtant chacun affronte la vie a sa manière. Chacun avec son talent. Avec sa liberté. Comme toujours chez Michel Lambert, l'arrière-fond du roman est extrêmement bien documenté. Il nous propose de passionnantes incursions dans les univers mentaux hyper-sensibles des artistes, des maniaques et des mythomanes et s'interroge sur ce qui les distingue les uns des autres. Il éclaire également avec finesse les processus de gestations artistiques — la création d'un rôle, la composition d'un personnage de roman, l'appropriation d'une technique picturale — qui sont parfois complémentaires comme le sont les croquis de Martial captant l'éphémère de la représentation théâtrale. Le découpage du récit et l'écriture très visuelle de La Maison de David, laissent à nouveau penser que les romans de Michel Lambert pourraient être adaptés avec bonheur au cinéma.
Thierry Leroy