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Critiques de livres

Gernot Lambert
Le voyage d'hiver
Bruxelles
Le Grand Miroir
2006
128 p.

Comme une chanson de Leonard Cohen
par Laurence Vanpaeschen
Le Carnet et les Instants n° 145

On nous le dit en quatrième de couverture : Gernot Lambert a mis dans son premier roman les choses de la vie qu'il aime et qui lui ressemblent sans doute. Plein de neige en hiver, Bob Dylan, Leonard Cohen et Roger Waters, le café en gobelets et les cigarettes, la BD que l'on retrouve dans les petites cases qui parsèment son texte et imprègnent une écriture directe, simple, de toi à moi. L'histoire fait un peu penser à celle d'un road movie où on a l'impression de courir sur place en sachant qu'il faudrait échapper à une menace qui point sourdement, mais qui va immanquablement exploser à la fin du film. Le genre de scénario qu'on a déjà vu cent fois, mais qu'on prend un plaisir franc à se repasser encore, calé dans les coussins d'un divan, en fumant les mêmes cigarettes que le personnage du film, mais plutôt avec un verre de vin qu'un gobelet de café.

Phil écrit des romans, et il s'est laissé convaincre d'écrire une pièce de théâtre par son copain metteur en scène et Rachel, la comédienne avec qui il partage sa vie pour le moment. Mais le théâtre, c'est pas son truc, Noël non plus, d'ailleurs. Alors il s'isole dans sa maison à la campagne, sous la neige, pour tenter de s'arracher ce morceau d'art «à l'absolue et paradoxale modernité» qu'on lui a dit qu'est le théâtre, et dont tout le monde se tamponne à commencer par lui.

Et elle débarque, Sophie qu'il a aimée et quittée dans la déchirure sans jamais cesser de la désirer. Aussi déglinguée que la 2 CV qui l'amène et que sa petite fille Sarah, qui ne sort de son mutisme que pour lancer des cris à vous transpercer l'âme. Repris par son désir, par «la fascination de l'abîme» qu'elle incarne, Phil laisse Sophie s'installer «pour quelques jours», ne travaille pas, bien sûr, chasse le malaise indéfinissable qui l'envahit devant les dessins sanglants de l'enfant et le regard affolé et hagard de la mère. Il ne pose pas de questions, accepte les bribes décousues d'explications : des juges arbitraires, une garde confiée à un père destructeur, la fuite comme seule issue…

La terreur qui suinte de ces deux êtres décide Phil à se joindre à leur course éperdue. Il emprunte la maison d'un ami dans le Sud de la France, loin, perdue dans les collines, ils roulent toute la nuit, boivent des cafés dans des restoroutes, il n'allume pas la radio, jamais, pressentiment sans doute. L'impression du bonheur pendant quelques heures, sous la luminosité méridionale. Même Sarah retrouve un peu le monde quand elle découvre le chat des collines, presque bleu tant il est noir.

Et puis c'est l'explosion, qu'on attendait depuis le début de l'histoire sur laquelle planait «une lourdeur, une espèce de menace, un truc salement comminatoire». Le chat est retrouvé éventré dans une mare de sang, Sophie montre à Phil l'échographie de l'enfant de lui qu'elle avait porté et perdu, et Phil allume la radio.

Il est d'usage de ne pas révéler la fin de l'histoire, même si on la devine… Sachez seulement que Phil a fini par écrire sa pièce et que le papa de Sarah lui a offert un chat.