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Critiques de livres

Patrice Lanoy
Le complot des papillons
Paris
Le Seuil
2007
201 p.

Voyage au bout de la mer
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 148

Ce devait être juste un petit tour en mer. Mais Loïc s'est fait bêtement avoir. Il n'a pas su dire non à cette gamine délurée flanquée d'un garçon bizarre et qui lui demandait de les emmener vers le large, juste de quoi nager. Lui, il était à quai, occupé à rafistoler calmement son bateau, Morpho, pour se changer les idées et oublier la disparition dramatique de Patricia. Le petit tour n'en finira pas, le moteur ayant rendu l'âme. La coquille de noix minuscule se transforme en huis clos infernal, l'embarcation dérivant au gré des courants, sans plus aucun repère. Sur ces quelques mètres carrés, Klara, la gamine insouciante, se mue en tyran, persuadée qu'elle est confrontée à un malade mental qu'elle rend responsable de leur mésaventure. Elle neutralise le capitaine, le ligote dans un coin de la cabine étroite et prend possession des lieux, imposant ses lois absurdes au rythme de ses colères. Celui qui est aussi le narrateur est donc immobilisé et perd désormais tout point de repère, confronté à lui-même. C'est l'occasion rêvée de revisiter ses souvenirs et de rejoindre celle qu'il a aimée. Aussi ce récit apparemment réaliste glisse-t-il peu à peu dans l'onirisme, à mesure que la situation évolue. Élément initialement perçu comme instable, le garçon qui les accompagne, qui répond au nom de Sol, se révèle comme personnage stabilisateur. De l'autiste, il a les absences et la fragilité, les moments de panique et les gestes compulsifs. Mais en fait lui seul parvient à s'extraire du drame et l'escapade incontrôlée ouvre son esprit sur le monde. Pour Loïc, il est à présent le repère qui permet d'éviter la folie. Avec lui, fusent les questions qui font mouche sur le sens de la vie qu'il découvre avec son esprit vif et avide d'apprendre. Les dialogues entre Loïc et Sol prennent la tournure de conversations initiatiques où défilent les philosophes qui marqué les pensées occidentale et orientale. À telle enseigne que les bruits de vagues s'estompent quelquefois, comme si le récit en soi dramatique n'était somme toute qu'un prétexte. Il reste que le voyage dure huit mois au cours desquels l'embarcation échoue sur une île maudite avant d'être remise à flot par une tempête terrible. Et le vent fou emporte les deux silhouettes qui avaient mis Morpho en mouvement. Lorsque des garde-côtes du Cap Horn portent secours au bateau en perdition, ils trouvent un homme seul, décharné et hagard, qui tient dans ses mains un cahier délavé dans lequel il a consigné un récit bizarre. Comment le croire? Et, par ricochet, quelle est somme toute la part de vraisemblance du récit que nous finissons de lire et qui a pris possession de notre esprit? Patrice Lanoy a écrit un livre étonnant et multiple qui se métamorphose au fil des pages, une fable à la merci d'une imagination foisonnante et débridée. Mais il célèbre avant toute chose la complexité des êtres humains, leur faculté surprenante de dédoublement et d'évolution une fois les repères ordinaires effacés.