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Critiques de livres

Micheline Zanatta, Jeanne-Marie Noiroux, Lily Rochette-Russe
sous la direction de Michel Hanotte
La presse clandestine de Seraing, 1940- 1944
Cuesmes
Éd. du Cerisier
coll. Place Publique
2006
246 p.

Seraing-la-Clandestine
par Pascal Leclercq
Le Carnet et les Instants n° 146

Difficile, pour qui connaît Seraing en ce début de vingt-et-unième siècle, d'imaginer à quoi ressemblait cette ville voici soixante ans, à l'orée de la seconde guerre mondiale. En lieu et place de la cité meurtrie dans sa chair par un déclin économique aussi lent qu'inexorable, se tenait une véritable fourmilière où des hommes et des femmes mettaient toute leur fierté dans leur travail et dans la lutte organisée pour l'émancipation de la classe ouvrière. Un livre retraçant l'histoire de la presse clandestine sérésienne sous l'occupation rend justice à son passé glorieux et à ses habitants, en mettant en évidence la vitalité et la qualité de leur engagement contre le fascisme hitlérien et la paupérisation de la population durant ces années noires.

Haut-lieu de l'industrie minière et sidérurgique wallonne, Seraing – ou plutôt l'ensemble des communes aujourd'hui fusionnées sous ce nom : Ougrée, Jemeppe et Seraing – est également un des berceaux du syndicalisme belge, un bastion des partis politiques de contestation ou de participation au pouvoir, et la patrie de dirigeants de première importance tels Julien Lahaut et André Renard. Aussi est-ce tout naturellement que, dès la montée des extrémismes de droite en Europe, des cercles comme l'Escrime entament une réflexion sur la manière de contrer le nazisme, perçu comme une régression politique et sociale. Dès le début de l'occupation allemande, et tout au long de celle-ci, un nombre impressionnant de journaux clandestins y verront le jour : seize titres en tout, ce qui représente 10% de la presse clandestine de la région. Particulièrement représentatifs de la diversité qui règne à cette époque, les clandestins sérésiens balayent, si l'on excepte bien évidemment l'extrême droite, dont les torchons sont eux officiels, l'entièreté du spectre des idées politiques, socialistes comme dans Le monde du travail, communistes et syndicales comme dans L'ouvrier mineur ou encore celles des milieux patriotes anglophiles, comme la Churchill Gazette.

Ces journaux répondent à de nombreuses préoccupations : en tout premier lieu contrer la dégradation des conditions de vie des ouvriers, due au blocage des salaires et à la spéculation sur les produits de base, comme le pain ou les pommes de terre; lutter contre l'occupant au sein même des entreprises, en incitant les travailleurs à réduire la production, dont la quasi totalité est réservée à l'effort de guerre allemand, par des actions de sabotage ou de grève perlée; donner des nouvelles des grèves dans les usines et les charbonnages, relayer les slogans; récolter des fonds pour venir en aide aux familles de prisonniers politiques, et plus tard, aux réfractaires qui refusent de se soumettre au travail obligatoire en Allemagne. La presse clandestine joue également le rôle de laboratoire d'idées, et l'on y retrouve les lignes fondatrices de la démocratie belge, comme l'indépendance des syndicats par rapport aux partis politiques ou les prémices du système de sécurité sociale.

La presse clandestine de Seraing fait suite à une exposition réalisée par l'Institut d'histoire ouvrière économique et sociale en 1996, ce qui explique sa richesse en documents iconographiques et en fiches techniques. Loin de se limiter à l'analyse des journaux, cette étude est une mine d'information sur la condition de la classe ouvrière durant l'occupation, et montre combien le combat contre l'envahisseur et celui pour une vie meilleure y étaient intimement liés. Enfin, il s'agit d'un véritable hommage à ces hommes, ces femmes et parfois ces familles entières, qui, au péril de leur vie et avec des moyens dérisoires, ont mis en place une contre-propagande efficace, dont le rôle dans la résistance à l'occupant fut de tout premier ordre.