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Critiques de livres


Dominique ROLIN
La rénovation
Paris
Gallimard
1998
144 p.

Dominique Rolin enrage...

De tous les quartiers mythiques de Paris, Saint-Germain est celui dont l'aura intellectuelle reste la plus prégnante. Et pourtant... Si on y croise en­core nombre d'éditeurs, quelques libraires (de moins en moins) et des pontes du Tout-Paris pensant, il faut bien admettre qu'il ap­partient désormais aux plumeurs de tou­ristes et aux stylistes haut de gamme façon Armani. (Et même que certains faiseurs de vêtements se prennent pour des écrivains, Sonia Rykiel en tête.) Conséquence de tout cela, les spéculations font la joie des manda­rins de l'immobilier, les loyers augmentent à en donner la nausée.

D'ailleurs l'immeuble du dix-septième siècle où habite Dominique Rolin n'y échappera pas. Il sera rénové : ascenseur, remise-pou­belles, interphones et autres signes extérieurs de richesse vont être installés. Avec, bien en­tendu, les loyers fortement revus à la hausse. Avec, bien entendu, les expulsions pour ceux qui ne pourront pas y investir les éco­nomies qu'ils n'ont jamais pu réaliser. Dans cette situation, Dominique Rolin a quelque chance. Protégée par une vieille loi française, elle ne peut être jetée sur le trottoir avec meubles et valises. Aussi, même sous la pres­sion de l'agent immobilier, elle ne mettra pas le prix demandé. Elle résiste. Car tou­cher à l'appartement de quelqu'un c'est tou­cher à son espace intime, à son moi. Alors, que dire quand c'est à l'intérieur si particu­lier d'un écrivain, cet intérieur où « l'indi­vidu est collé en permanence à sa table, [où] il tient son corps aux aguets, cassé en deux, les coudes plantés de part et d'autre de son manuscrit lequel est un second système nerveux qui le vide à mesure de sa substance in­time. » Elle ne le quittera donc pas son duplex, même pour retrouver le calme le temps des travaux. « Abandonner mon ici qui souffre le martyre et crier grâce serait une trahison. La lâcheté n'est pas mon fort. Il faut tenir. » Et écrire.

Mais il ne faudrait pas se tromper sur ce nouveau roman de Dominique Rolin. Nous n'allons pas la voir aux prises continuelles avec les problèmes de maçonnerie, de plom­berie et autres péripéties qui trufferaient les téléfilms français ou les sitcoms américains. Pour elle, aborder les tracas de la rénovation de son immeuble, c'est parler (une fois de plus) d'elle-même, d'écriture, et de la lutte pour mener le roman à son terme. Elle cherche un peu à brouiller le lecteur en lui faisant croire qu'elle risque de l'ennuyer à le replonger dans ses « rengaines » avec « les mêmes clous romanesques » enfoncés et qu'elle voudrait écrire un livre avec « une masse de ils et de elles succulents parce que logiques : croisières supersoniques, télés, voitures de luxe, cartes de crédit, copula­tions, accouchements et funérailles, jazz, politique, cancers bien purulents, sacrifices, notaires, attentats, révolutions agraires, stars, industriels chagrins, stupre, adultères, sports, sans oublier le métro, la météo, la vie chère, enfin de beaux petits enfants. » Ce souhait ne se réalisera pas. Et nous assis­terons à une nouvelle prolifération de je, à une confrontation avec « Lady Mémoire » qui voudrait voir l'écrivaine loger tous ses morts dans les pièces de l'immeuble en ré­novation. Voilà — outre le combat de l'écriture, des mots à presser jusqu'au bout — l'enjeu du livre de Dominique Rolin, la résistance à cette mémoire envahissante. Elle veut gagner la bataille qui mettrait de l'ordre dans la caverne de sa tête, qui lui fe­rait donner le dernier coup de balai et ainsi éliminer les débris poussiéreux.

Pour sûr Gaston Bachelard se serait réjoui de ce livre qui ne cesse d'opérer des glissements de l'intérieur en pierre à celui de la cervelle, « avec son contenu gélatineux », jusqu'à celui du livre. L'écrivaine est dans la maison et celle-ci dans celle-là. La frontière entre elles s'atténue jusqu'à parfois disparaître et faire sortir du placard les fantômes de la mémoire en leur donnant une apparence de chair et de mots. Le travail de la romancière vient comme doubler celui des ouvriers. Et si l'écriture n'est pas aussi libre et fraîche que ne l'espère Dominique Rolin, elle nous ravit avec une morale qui donne toute sa place au miracle du mensonge, au « jusqu'au boutisme » du combat — à gagner. Combat contre ce complot qui, à certains moments cruciaux de notre vie allie le monde extérieur à notre monde intérieur, combat que nous sommes seuls à pouvoir déjouer, avec ou sans les armes de l'écriture romanesque.

Michel Zumkir