pdl

Critiques de livres


Jean-Claude BOLOGNE
L'arpenteur de mémoire
Fayard
2002
172 p.

Les aventures mystiques et cultivées d'un ego imaginaire

L'Arpenteur de mémoire, le nouveau roman de Jean Claude Bologne, est paru au prin­temps dernier dans la collection Alter Ego dirigée par Jean-Luc Moreau. Cette collec­tion s'envisage comme un renouvellement de l'autobiographie dans la mesure où l'au­teur est invité à nous faire partager une part essentielle de lui-même en mobilisant non pas ses souvenirs, comme c'est l'usage, mais son imaginaire. L'auteur a donc la latitude de s'inventer une vie et a tout le loisir de la localiser quand bon lui semble. Jean Claude Bologne, ça n'étonnera guère ses lecteurs, a choisi de situer son histoire au Moyen Age et a décidé de lancer son autre lui-même à la recherche de Dieu !

Plutôt qu'une vie, ce livre raconte donc un cheminement intellectuel et mystique. Le héros entend confronter à l'expérience du monde tout ce savoir encyclopédique dont il était le dépositaire dans le ventre de sa mère. Maître Arnoldus son « professeur de théologie appliquée aux mille et un pro­blèmes de la vie quotidienne » va lui propo­ser une quête à la mesure de son ambition : rencontrer Dieu ! D'après lui, celui-ci de­vrait se trouver au point exact où deux droites parallèles se rencontrent. C'est le Graal dans toute sa splendeur : c'est le cher­cher qui importe, pas le trouver ! Notre héros ne va pas s'aventurer seul dans cette aventure. Il est flanqué de Thor-Gnôle avec qui il va former un duo qui évoque Don Quichotte et Sancho mais plus encore Jacques le fataliste et son maître dans une version qui mettrait l'accent plutôt sur le maître que sur Jacques. Au fil de leurs aven­tures, une nouvelle quête, existentielle cette fois, s'impose à eux. En plus de trouver Dieu, ils vont devoir élucider leur nature véritable. Cette tâche ardue va encore être compliquée par la confrontation avec leurs doubles inversés (des personnages qui ont choisi un mode de vie radicalement opposé au leur).

Durant le tour du monde fantasque qui va les ramener à leur point de départ (au propre comme au figuré puisque la ques­tion de l'existence de Dieu ne sera évidem­ment pas résolue ici), les deux personnages vont faire une série de rencontres in­croyables dont le narrateur ne manque ja­mais de souligner la valeur symbolique à coup de références savantes. Le procédé pourrait rebuter s'il n'était rela­tivisé par la vigilance ironique de Thor-Gnôle et de son maître et par une fantaisie permanente. Les ambiances des différents lieux visités sont souvent pastichées : Bo­logne évoque tout aussi bien Dante et Kafka que les règles du Monopoly. Il joue aussi en permanence sur les anachronismes (le paradis est régenté par des Bolcheviks sans humour, ailleurs on attend avec impa­tience l'invention de la psychanalyse) et sur le contraste entre les grilles d'interprétation médiévales et contemporaines. Ce livre est à la fois fantasque et érudit, comme un Jules Verne pour adulte. 

Thierry Leroy