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Critiques de livres


Michel Lambert
La rue qui monte.
L'Age d'Homme
1992
242 p.

Un parcours à double sens

Si. bien calé au fond d'un fauteuil, vous vous apprêtez à vous plonger dans la lecture du dernier roman de Michel Lambert, attention ! La rue qui monte n'est pas un livre de tout repos. Il y a même fort à parier que cet exercice vous laissera sans souffle.

Depuis un premier recueil de nouvelles, De très petites fêlures (l'Age d'Homme, 1987) et un roman, Une vie d'oiseau (Ed. de Fallois / L'Age d'Homme, 1988, Prix Rossel), Michel Lambert ne cesse de creuser, toujours plus profondément, l'écorce du coeur humain pour y mettre à jour le noyau dur de la lâ­cheté. Son arme principale est une vision acérée. Ses matériaux, un ensemble de mo­tifs, thèmes et personnages souvent récur­rents, tirés d'un quotidien citadin. Le tout compose un univers littéraire d'une grande cohérence, axé sur une idée dont le para­doxe n'est qu'apparent : vivre suppose l'accumulation de morts successives. Avec La rue qui monte, ce paradoxe atteint les limites du cauchemar. Valmy est un anti­héros par excellence. Cadre moyen, la qua­rantaine, il est marié et père d'une ado­lescente qu'il adore. Seul hiatus dans ce portrait banal : le goût de la bagarre et la honte qu'il en éprouve. Aussi a-t-il l'habi­tude de se réfugier dans le mensonge. Le hasard — la mort d'une maîtresse depuis longtemps oubliée — l'obligera à se ressou­venir de sa première trahison. Commence alors une singulière et douloureuse enquête sur lui-même, pour remonter à la source de son mal-vivre. Son chemin est jalonné de rencontres qui sont autant de défis que de faux-fuyants : comme si rechercher sa propre vérité impliquait de trahir tout ce qui est étranger à celle-ci. Petit à petit, les repères de Valmy s'estompent. Les anta­gonismes vie et mort, imposture et sincérité, courage et faiblesse, tueur et poète, perdent tour à tour leur sens. La réalité se décons­truit insensiblement pour se réduire à une ambiguïté essentielle : la rue qui monte est aussi la rue qui descend. Valmy touchera le fond de la solitude dans cette quête désespérée. Plus de famille, plus d'amis, plus d'emploi. Mais il va ainsi au bout de la logique qu'il a choisie. Là, il n'y a pas de pardon mais seulement la résistance que la lucidité oppose à la lâcheté. La seule cer­titude qui surgira de ce processus de dé­composition est celle d'avoir été aimé un jour.

La force indéniable de ce roman est d'en­traîner le lecteur — amadoué par une écriture claire et posée, le décor anodin d'un Bruxelles pluvieux — dans un dédale complexe où, dérouté, il finit par perdre lui-même ses points d'appui. Et si certains personnages n'échappent pas au conno­tations faciles (peut-on évoquer une pute au grand cœur ou un duo de clowns sans risquer de convoquer du même coup des images plus convenues ?), il n'en reste pas moins qu'à remonter lentement cette rue de la vie, le vertige vous prend inexorable­ment.

Dominique CRAHAY